samedi 24 janvier 2009

104 - La moribonde

Morbide à souhait, la vieille bigote insistait lourdement pour faire de son agonie un spectacle mémorable et navrant, endeuillant avec des cérémonies outrancières et superflues sa chambre qui puait le formol, l'urine et la naphtaline. Vivant depuis toujours sous ce toit, elle en avait fait son théâtre. Mortuaire. Sa vie qui s'achevait dans ce grand lit en fer n'avait été qu'un long chant funèbre, une ode à la privation, un hymne aux mesquineries les plus sordides.

Afin d'attendre dignement la Camarde, la prude avait transformé sa maison en caveau : partout, de la dentelle noire, des rideaux couleur de mort, des crucifix à tous les murs, des statues mariales à en vomir d'indigestion, jusque sous le lit, côtoyant pot-de-chambre douteux et fioles embuées. Babioles pieuses ramenées de Lourdes et conçue dans le style sulpicien le plus achevé, ces spectres de plastique et de métal vil peuplaient la maisonnée depuis une éternité : la célibataire en plus d'être infiniment dévote était quasi-centenaire. Sinistre et macabre, ce décorum de croix et de Vierges rendait l'atmosphère irrespirable. Le seul qu'elle pût respirer. N'importe quel autre mortel dans une semblable ambiance serait mort avant l'heure. Elle, se sentait revivre dans ce cercueil géant où elle gisait exquisément comme un asticot se repaissant de pourriture.

Elle rayonnait sur son lit de mort, blafarde. Peau sèche mais coeur vif, traits cadavériques mais âme brûlante de fiel, elle débitait avec jubilation sa haine de la vie et de ses plaisirs, sous formes de prières. Fébriles, ses doigts osseux étreignaient du matin au soir un chapelet usé. Moribonde diabolique, elle vomissait ses repas sur son chapelet avec des gémissements à fendre l'âme.

Astre mort au regard hypocrite, la vieillarde avait conscience de jouer là son plus beau numéro.

Finalement elle ne mourut point.

Huit et onze ans après cette fausse alerte, elle assista même aux funérailles de deux de ses veilleuses.

On dit qu'elle cracha sur leur tombe, après les avoir veillé à son tour.

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Qui est Raphaël Zacharie de IZARRA ?

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Oisif mélancolique, oiseau unique, ange joliment plumé, ainsi se présente l’auteur de ces lignes (une sorte de Peter Pan cruel et joyeux, mais parfois aussi un rat taciturne). Au-delà de cette façade mondaine, loin de certaines noirceurs facétieuses j’ai gardé en moi une part de très grande pureté. Dans mon coeur, un diamant indestructible d’un éclat indescriptible. Cet éclat transcendant, vous en aurez un aperçu à travers mes modestes oeuvres. Est-ce une grâce de me lire, pensez-vous? Osons le croire.