101 - Un verbeux abscons
Envoyé à un auteur hermétique :
Votre verbe m'est rébarbatif. Vous êtes odieux en vérité : vous êtes sec, long et ennuyeux, et finalement stérile. Vous avez manqué votre cible puisque vous m'êtes désagréable. Vous manquez de courtoisie. Vous auriez dû parler de la pluie ou du beau temps, ou encore de mon beau chapeau, mais certainement pas de linguistique.
Ce que vous dites est sans doute très instructif pour des spécialistes de la chose, mais il ne présente nul intérêt pour un coeur d'enfant comme le mien.
102 - A une effrontée
Mademoiselle l'impudente,
Souffrez, arrogante, que la froideur que vous affichez en ma direction m'offense, m'offusque, me pique au vif. Comment osez-vous me faire un tel affront ? Nul jusqu'à maintenant n'avait eu l'audace de bafouer de la sorte mon nom (et surtout ma chère particule), l'audace d'espérer museler ma plume à travers son INDIFFERENCE !
On me raillait, on se gaussait de mes vues, on se targuait de pouvoir avec moi croiser le fer et de me faire succomber sous quelque coup de maître imaginaire, mais on ne me méprisait pas de semblable façon ! Au point de vouloir me jeter dans les épines infâmes de l'oubli... Votre dédain est une insulte. Quoi ! Mes discours vous ennuient ? Mon beau nom à rallonge n'a pas l'heur de vous plaire ? Mon jugement personnel ne trouve pas grâce à vos yeux ? Ma pensée et mes paroles ne vous siéent point ? Mais à quelle espèce appartenez-vous donc, Mademoiselle ?
A la plèbe, assurément.
A quel étrange sort abandonnez-vous votre coeur de vierge si les mots les plus vrais de l'amour ne retentissent pas en celui-ci autrement que par ces méchantes allures d'indifférence ? Votre mépris à l'endroit de ma personne ressemble d'ailleurs à de l'indolence amoureuse. Ou à un semblable objet de misère. Et puis de nos jours les simples bergères font les fières devant les princes, dédaignant les moindres politesses... Elles font de la cérémonie, elles revendiquent, elles exigent ! Nul égard pour le noble sang. Point de respect pour la belle espèce. Aucune considération pour l'homme de bien. Pas plus de déférence que ça pour la particule. Avez-vous au moins une once d'estime pour le beau et interminable nom qui me désigne, Mademoiselle ?
Servez donc les causes qui vous sont aimables. Mais n'appelez pas "amour" tous vos communs objets d'attention féminine, vos petites passions qui ne me concernent pas, vos ordinaires sujets de curiosité... Et oubliez-moi, de crainte que vous ne me rendiez pas conventionnellement, convenablement, saintement hommage.
103 - La langue comme une épée dévouée
L'on exige souvent de moi que je sois bref pour bien discourir du sujet de l'amour. Parler peu ne signifie pas nécessairement parler bien. Si Internet n'est pas fait pour s'exprimer, pour communiquer, alors quel est véritablement son rôle ? Dans ce cas je vois Internet comme le reflet de notre société pressée : il ne faut pas s'attarder, il faut être prompt, efficace, sans fioriture, et parler de l'amour d'une manière nette et concise comme on rédigerait un C.V.
Je vous le confesse sans détour ici : lorsque je lis des messages extrêmement brefs et souvent totalement vides de contenu, pour ainsi dire absolument superficiels, je me dis que les utilisateurs d'Internet sont IMMATURES, INFANTILES, INEPTES.
User d'Internet pour s'envoyer des "Salut, comment ça va ?" ou bien des "L'amour c'est sympa, crois-moi !", ne présente nul intérêt sur le plan de la communication.
L'amour est un grand et noble sujet qui ne doit pas être jeté en pâture au peuple, à la masse, à la racaille, aux coeurs moyens, aux incultes, aux esprits mal faits, aux âmes corrompues par la religion matérialiste.
Me reprocherait-on mon vocabulaire, ma manière de dire, mes opinions ? Mais je ne suis point comme la plupart de mes contemporains manipulés : je suis apte à me forger mes propres convictions, et heureux de laisser s'épanouir ma propre sensibilité. Je prends la liberté de ne pas singer la masse. Je n'adhère nullement aux mouvements de charité orchestrés par les Grands Manipulateurs. Je cite ici quelques exemples types de cette manipulation, afin de mieux vous éclairer :
Défense acharnée de la planète et de ses hôtes à deux, quatre, voire six pattes, tels qu’oiseaux rares, ours lâchés dans la nature, larves de mer (les bébés phoques), obscurs insectes de l'Amazonie lointaine... Et d'une manière générale, combat irraisonné pour la promotion et la sauvegarde d'un bestiaire choisi auquel on prête volontiers des qualités plus qu'humaines.
Je suis fier de n'appartenir en aucune façon aux "grands coeurs" sensibles aux causes écologiques et humanitaires. Je sais que l'amour courtois n'est pas à la mode en ces temps. Il est de bon ton de s'émouvoir du sort de nos "amis les bêtes", des licenciés économiques, des chiens errants, tous dignes d'occidental intérêt, plutôt que de s'émouvoir de mon cher nombril, pourtant bien plus digne d'intérêt à mes yeux.
A présent je m'adresse à qui aura l'intelligence de se reconnaître dans mes propos. Sachez que les singes ne savent pas parler de l'amour. Les singes ne font que copuler. Ils ne font qu'imiter stupidement, jamais ils ne créent. Les singes sont d'abord et avant tout des animaux. Les dauphins également, ainsi que les chevaux, les bébés phoques, les baleines et les chiens... Toutes vos chères victimes à plumes et à poils ne sont que de la basse espèce. Qui osera prétendre le contraire, et désacraliser l'Homme et l'Amour au profit d'une mode animalière ou d'une cause quelconque savamment médiatisée ? Maintenant l'Homme parle à l'Homme : la langue sert l'amour.
104 - Le temps
Je suis seul ce soir.
Je sens le poids du passé, et je respire ses odeurs de fauve et de rance, comme un terreau retourné, comme un corps soulevé. J'étouffe dans mon silence, et meurs de vivre. Ma mélancolie me renvoie ses effluves fermentés. Comme si le passé avait fini par tourner. Soucieux pour tout ce qui est futile (tout ce qui ne se rapporte pas à l'avenir économique, alimentaire), je suis parvenu au bout de mes inquiétudes. Où sont les beaux jours de l'amour ? Dans le passé, comme toujours. Enracinés, énumérés dans mes souvenirs. Ressassés. Il paraît qu'il vaut mieux regarder en face de soi, dans l'avenir.
Mais je le connais bien mon avenir. Je ne suis pas de ces fous qui mettent leurs plus beaux jours dans le futur : les miens sont restés dans le passé.
La mélancolie ne vaut-elle pas mieux que l'espoir, quand celui qui espère attend de devenir enfin mélancolique, sachant que la mélancolie est une délicieuse souffrance ?
Je n'espère vivre que des jours dignes de rejoindre un passé dolent, sacralisés par la mélancolie, le regret, la langueur, le deuil, les larmes.
Je suis seul ce soir, et mon souffle est pour vous.
105 - L'objection d'un honnête godelureau
Mademoiselle,
Je serais bien en peine de discerner entre nous la part d'amitié qui vous fait me dire maintes amabilités et me fait volontiers les entendre selon nos communes normes, et la part de commerce plus intime qui guide trop souvent votre plume au-delà des pensées, des mots auxquels nous sommes à l'ordinaire plus accoutumés.
Si je vous réponds souvent sur un semblable registre, soyez convaincue Mademoiselle que c'est surtout pour vous mieux plaire et garder votre amitié. Lorsque dans les lettres que vous me destinez les mots dépassent l'élémentaire bienséance qui sied à une telle entente, je réponds par une même audace, soucieux avant tout de constance, de durée, de réciprocité. Et non avide de sensualité. Pour être agréable à vos yeux je feins de partager vos désirs de volupté charnelle, alors qu'en réalité je suis, en lisant vos lettres, sous l'empire d'une joie plus désincarnée...
L'émotion élevée du coeur vaut mieux que l'ivresse plus commune, grossière et moins honnête de la chair. Non Mademoiselle, je ne suis pas ce bouc épris de luxure que vous aviez imaginé. Ma place n'est point sous vos dentelles, au seuil de votre hymen, au centre de votre fièvre, mais dans votre coeur. De grâce, pour l'avenir préservez ma chasteté de vos impudeurs. Comprenez qu'à force de lire vos lettres, et ce indépendamment des mots écrits, de leur contenu, mon coeur s'est finalement réglé sur ces lignes vôtres qui pourtant violent ma mâle pudeur, battant au rythme de votre plume devenue fidèle. Votre plume qui, en dépit des outrances qu'elle m'adresse, vient à moi chaque jour comme une amante à des rendez-vous.
Je ne vois que votre main qui tient la plume, et non pas les mots corrompus qu'elle invente pour me mieux perdre : mon coeur se fait plus sensible que ma chair muette.
Cessez vos discours éhontés. Tenez-moi plutôt des propos honnêtes Mademoiselle, que je puisse sans rougir les faire entendre à mes plus respectables confidents : Madame ma mère et Monsieur mon père. Quel bonheur si je pouvais porter à leur connaissance notre amitié ! Depuis tant d'années qu'ils brûlent de me voir en honnête compagnie... Hélas ! pour le moment vous n'êtes pas digne de paraître sous le toit parental. Trop de passions charnelles de votre part gâtent nos rapports.
Que n'êtes-vous point portée vers les chastes et doux élans du coeur en proie aux tourments exquis de l'amour ? Plutôt que d'écouter les sombres ébranlements de votre corps femelle si faillible, ouvrez votre âme aux joies innocentes des langueurs amoureuses : elles donnent des ailes aux coeurs les plus rustres et parviennent à faire oublier les pesanteurs de la chair... Aimez-moi dignement Mademoiselle : aimez-moi de tout votre coeur.
Et rien qu'avec votre coeur.
106 - Ces monstres appelés "surdoués"
En spectateur attentionné et critique, j'ai cru bon de devoir regarder une émission télévisée populaire traitant du phénomène curieux et monstrueux de ceux que l'on nomme avec beaucoup de considération les "surdoués".
Les "surdoués" en question, sujets de tant d'attention, ne se sentaient nullement supérieurs, comme ils le disaient si bien. D'ailleurs cela eût été fort mal vu, très "télégéniquement incorrect" si tel avait été le cas. Cependant l'on admettait parfaitement que ces nabots reconnussent en eux une espèce d'infériorité due à leur différence. Etrange... Se sentir supérieur serait une aberration, une insulte envers l'humanité entière, tandis que se sentir inférieur serait louable ?
Afin que ce sentiment d'infériorité si bien toléré par la société puisse avoir la moindre signification, il faudrait qu'en contre-partie le sentiment opposé, la supériorité, puisse être également admis dans les coeurs. Reconnaître le sentiment d'infériorité chez soi comme une réalité qui n'offense en rien le nom de l'humanité (et même parfois en faire l'éloge par pure confusion avec le sentiment d'humilité) oblige à admettre que le sentiment de supériorité est une chose aussi réelle, aussi naturelle à l'homme. La signification sociale d'un sentiment, qu'elle soit négative, neutre ou positive, n'ôte en rien la réalité de ce sentiment.
Si hors contexte social le sentiment d'infériorité est légitime à l'homme, à l'individu, au surdoué, pourquoi dans l'absolu le sentiment de supériorité ne le serait-il point ?
Personne n'éprouverait donc ce naturel sentiment de supériorité ? A moins que personne ne veuille avouer ouvertement, soit par éducation, soit par humilité mensongère, qu'il se sent supérieur à son voisin...
Moi je me sens supérieur à mon voisin.
Je n'ai pas besoin de me faire élire surdoué ou sous-doué pour cela. Le sentiment d'infériorité ou de supériorité n'est pas l'apanage des cancres ou des premiers de la classe. En tous cas je n'ai pas cette coquetterie déplacée de jauger le coeur et l'esprit d'une manière aussi convenue. S'il fallait attendre d'être un surdoué pour se sentir supérieur à son voisin, ce serait quand même bien dommage !
Ou bien ces petits surdoués sont de véritables petits saints, ou bien je suis un monstre d'égocentrisme et de cynisme.
Je me moque du Q.I. supérieur de mon égal. L'individu est fort heureusement autre chose qu'un simple Q.I. Mais allez donc faire comprendre cela à des géniteurs moyens empressés de donner des ailes au fruit banal de leur hyménée banal...
107 - L'éclipse d'août 99 : les plus ridicules effets
Dans notre société les cafés littéraires, les cafés philosophiques, les éclipses solaires ou bien les 31 décembre sont devenus des phénomènes de mode à finalité mercantile. Et lorsque cela n'est pas purement mercantile, c'est "déstru-culturel". Soit mes contemporains sont les victimes insidieuses de vastes entreprises commerciales, soit ils se "décultivent" la cervelle en se la ramollissant.
Les avez-vous vus, ces millions de paires d'yeux fixant le soleil, dissimulés derrière des verres opaques ? On a suggéré à ces pantins "esti-veaux" de s'extasier, alors par millions ils se sont extasiés, aidés par les clameurs programmées des radios et télévisions à la botte des marchands de poudres lavantes : le spectacle cosmique relayé par les ondes se doit d'être lucratif. Les plus sots auront fait un long voyage jusqu'à la zone la plus ombreuse. Pour pouvoir dire "j'y étais". Futilité ! Fumée ! Inconséquence ! Pire : pour prendre des photos d'amateur. Intérêt zéro. Certains se sont achetés des maillots à manches courtes avec une éclipse imprimée dans le dos du plus mauvais effet. D'autres ont fait la fête. Pour fêter quoi ? L'éclipse voyons !
Et puis une fois l'éclipse passée, le peuple s'est inventé de nouvelles passagères "passions". Je gage que la prochaine ruée vers le vide, l'ineptie, la sottise se fera le soir du prochain 31 décembre. Des veaux humains laisseront éclater leur joie. Quelle prodigieuse fête fut le 31 décembre 2000 ! C'est que les chiffres ronds exercent un étrange pouvoir sur les foules. Ces chiffres magiques font acheter, dépenser, festoyer, beugler en choeur les masses.
108 - Lettre à mes amis des listes sur Internet
Chers co-lisiers,
Lorsque je lis vos messages, je m'interroge sur l'intérêt du NET. A l'évidence le peuple ne sait pas user de cet outil ludique de communication. Il ne fait que transposer sur un mode informatisé l'ineptie de sa condition. Vous vous parlez en vain, vous vous envoyez des gentillesses, des banalités, des petits riens et des grands vides : vous n'avez vraiment rien à vous dire. Vous me faites songer à des tous petits enfants à qui l'on aurait offert des pièces d'or et qui ne sauraient pas s'en servir et dilapideraient ces jolies choses jaunes en s'en servant comme le ferait le Petit Poucet avec sa mie de pain. Vous semez inutilement des mots en l'air.
Vous avez de l'or entre les doigts, et vous le gaspillez sans le savoir mes pauvres amis... Vous n'avez rien à vous communiquer, sinon des considérations météorologiques ou ménagères. Vous manquez irrémédiablement d'esprit, de coeur, de finesse et d'envergure. Vous êtes une pitoyable assemblée de "caqueteurs", de dindons, de chèvres, de veaux meuglant et de roquets aboyeurs. Et le NET n'est qu'une immense basse-cour qui abrite vos ébats sans lendemain, vos coups sans éclat, vos séniles petitesses.
Vos "Hi-Han !" d'humbles équidés, vos caquètements de stupides volatiles m'affligent vraiment : je ne puis pas même compter sur vos placides réactions de ruminants et d'écervelés pour entreprendre un digne combat avec vous. Ha ! Combien il me plairait de me mesurer avec un adversaire de ma trempe ! Le beau duel en perspective ! Mais non, vous faites les ânes, et je ne puis ici, en guise d'épée virtuose et vengeresse qui servirait la cause impérieuse de l'art, que vous menacer du bâton pour vous faire taire, ou bien vous appâter avec la carotte de la plus lisse amabilité pour vous mieux amadouer quand je le veux... Mon épée, je préfère la garder pour chercher querelle à des D’Artagnan de mon espèce.
109 - Une existence de pompiste
A me frotter aux affaires communes inhérentes à l'existence humaine, inévitablement j'en viens à côtoyer, et c'est bien fâcheux, le vulgaire. Dans toute sa détestable ampleur. Les minuscules, moyennes ou énormes aspirations matérialistes de mes contemporains m’affligent. Mais je n'oublie pas de m'en amuser pour autant.
Par exemple devant un brave pompiste j'affiche toujours un simiesque sourire social en me faisant passer pour un des siens : un frère du quotidien, un coeur somnolent, un esprit horizontal, convaincu comme lui-même que mon salut dépend de la qualité du carburant qu'il me vend et, accessoirement, de la marque de mon véhicule, ainsi que de tous les objets manufacturés qui m'entourent... Pauvre pompiste pour qui j’éprouve une sincère pitié en secret derrière mon sourire de façade.
Pauvre pompiste… Mais il y a encore tous les autres : ces pauvres banquiers trop occupés pour me prendre au sérieux, ces pauvres salariés trop humbles pour oser penser au lieu de faire les ruminants. Pauvres nantis et déshérités que sont ces gens-là ! Pauvre égal, pauvre semblable, pauvre homme, pauvre frère, que celui qui mise tout sur le visible, le palpable, le négociable.
Quelle inconséquence chez ces adultes majeurs, responsables et chefs de famille...
Face au quidam qui tend ses billets à celui qui lui vend des richesses matérielles, j'éprouve une pitié christique. Il faut voir les faciès satisfaits de ces gens immatures, infantilisés par leur sérieux de circonstance, voir avec quelle conviction cette humanité grotesque patauge dans ses rites puérils… Ce sont des mines pleines de félicité temporelle. Mais vides d'idéalisme. De pauvres gens sans espoir de devenir autre chose que des consommateurs exigeants, "connaisseurs avertis" même sur les questions matérielles.
C'est ça la culture de l'abrutissement. C'est penser, le coeur pleinement convaincu, qu'il faut mettre du carburant de qualité dans le réservoir de son véhicule. Parce qu'un moteur à explosion, pour un honnête homme qui travaille, qui connaît la vie et qui sait ce qu'il veut, c'est important. Ils le croient tous, ces conducteurs salariés, ces pères de famille, ces pêcheurs à la ligne qui ont des rêves de vacances sous les cocotiers pour tout idéal.
Depuis longtemps j'ai renoncé à parler « sérieusement » aux pompistes, aux marchands de tous bords, aux banquiers et à tous ces inconnus aux intentions mercantiles : je me contente de leur sourire, leur faisant croire ainsi que je suis de leur monde, préoccupé comme eux par des affaires domestiques.
Pauvres pompistes. Avec eux encore moins de chance de leur parler : j'ai cessé de posséder un moteur à explosion.
110 - Mémoires d'un libertin
Très tôt se révéla ma vocation donjuanesque : dès l'âge puéril je ne songeais qu'à plaire aux jeunes servantes qui se succédaient au château familial. J'usais des intrigues les plus candides pour gagner leur coeur et faire triompher ma cause. Par des séductions certes un peu perfides dans le fond, mais dans la forme charmantes, adorables aux yeux des adultes, j'étais parvenu à me constituer quelque informel harem de paysannes et de lessiveuses. Ces rustiques furent mes premières courtisanes. Elles m'entouraient si bien, me prodiguaient tant de chaleureuses attentions qu'il me fallut peu de temps pour entrer dans le secret de leur gynécée, ayant droit de cité jusque dans leur impénétrable alcôve, allant et venant le plus simplement du monde entre corsages et jupons, l'innocence de mon âge jouant naturellement en ma faveur.
C'est par elles que j'appris à fourbir mes premières armes de séducteur. Les adultes ne s'imaginent pas la qualité de certaines aspirations qui peuvent naître dans le coeur de ceux qu’ils traitent avec tant de puérilités. Ce qui représentait déjà pour moi une véritable initiation à un art majeur dont je découvrais de jour en jour les règles vitales, apparaissait du haut de leur brèves vues comme de simples enfantillages, d'anodines espiègleries, d'inoffensives bagatelles nés de l'âme honnête de l'enfant que j'étais. Ainsi me jugeaient mes précepteurs : j'étais un angelet. Peut-être juste un peu plus dissipé, un peu plus imaginatif que la moyenne, mais certainement pas déjà un fervent disciple de Casanova.
Cette vocation s'affirma avec une virile certitude lorsque j'entrai chez les Jésuites, à l'âge pubère. Là, on m'enseigna fort doctement et magistralement, avec ce qu'il faut d'autorité, les préceptes salutaires de la tempérance, du célibat, de la sobriété en tout. J'en sortis quelques années plus tard parfaitement impie, libertin et persifleur, déjà fort instruit des pratiques luxurieuses et de la science amoureuse, les deux étant naturellement indissociables chez moi.
Soyons justes : chez les Jésuites l'enseignement amoureux, pour n'être pas officiellement de rigueur n'en est pas moins inscrit au programme, officieusement. Du moins en ce qui concerne l'élite des «débauchés» de mon espèce. Audacieux et toujours insatiable de savoir, j'allais nocturnement prendre des cours particuliers auprès d'une préceptrice, ma foi assez compréhensive, qui officiait ordinairement en tant qu'aide cuisinière au sein de la sévère institution. Je prenais sur moi l'inévitable surmenage que me causaient ces heures supplémentaires d'instruction pratiques, lesquelles entraînaient quelques désagréments que je me faisais fort de dissimuler à mes maîtres, de crainte de ne point faire honneur à leurs cours comme ils l'auraient souhaité et de les blesser dans leur orgueil. Aussi, au prix d'un nécessaire effort qui est devenu par la suite un jeu, une sorte d'amusant défi, j'affichais en tout temps une mine studieuse qui les flattait incontestablement.
Ainsi je plus à mes maîtres.
C'est à cette occasion que j'appris une chose essentielle en ce qui concerne les choses et les êtres de ce monde dont j'étais issu : en tout l'apparence prévaut sur les mérites authentiques. Je sais pour l'avoir vécu, expérimenté, vérifié, qu'on n'estimera jamais assez les âmes de bonne volonté et de bonne composition qui n'ont de cesse d'afficher en toute circonstance une humeur égale. Faire bonne figure à tout prix, voilà un des grands principes fondateurs chez les élites de mon espèce, un des secrets de la réussite chez les adeptes de l'honnêteté, de la religion et des traditions. L'apparence est une grande qualité chez les gens du monde. J'ai su tirer le meilleur profit de cette vérité.
Certes, l'apprentissage nocturne de cette science mystérieuse qu'est l'amour charnel me coûtait quelque peine. Les bâillements intempestifs que je devais réprimer en toutes heures attestaient cette peine, mais cela ajoutait, pensais-je, à mon mérite. Ma soif d'apprendre n'en était pas amoindrie pour autant. En effet, en dépit de ces menues contrariétés, j'étais, il faut l'avouer, très assidu aux enseignements prodigués par ma maîtresse ès cuisines. Au terme de leçons laborieuses, appliquées, je décrochai mon diplôme d'hédoniste, au moins à titre officieux.
Ainsi dûment récompensé de mes efforts, j'eus l'occasion et l'insigne privilège de déployer mon savoir au sein même de cette digne institution qui m'avait si bien formé. En effet, au jour solennel de la remise des prix je jetai mon dévolu sur la mère de l'un de mes camarades, authentique bourgeoise (entretenue par un frileux époux aussi jaloux que cupide) à la beauté évanescente, véritable créature mondaine vouée aux plaisirs sacrilèges de la chair, et catin notoire. C'était en tout cas le bruit qui courait dans le cercle très étroit des esthètes corrupteurs dont je n'allais pas tarder à faire partie. Une telle renommée ne pouvait échapper au blasphémateur averti que j'étais en train de devenir. A voir de plus près le phénomène, je compris de grandes choses quant aux vrais dessous et faux dehors du grand monde...
La proie avait ces attraits subtils chers aux artistes. Je fus subjugué. En outre, la réputation scandaleuse de cette femme de haute classe lui conférait une seconde beauté. Effet galvanisant pour un "honnête" godelureau de mon espèce ! Ce fut pour moi la perspective d'une sorte de baptême du feu. Je ne tardai pas à me mettre en meilleurs termes avec l'épouse indigne (mais excellente mère au demeurant), mettant à l'oeuvre mes naturels penchants de profanateurs, argumentant avec autant d'audace que d'adresse. La dévoyée ne se fit pas insensible à mes avances.
Après quelques nécessaires et habiles manoeuvres pour me retrouver seul en cette estimable compagnie, je pus bientôt lui rendre un tendre hommage dans le bureau déserté de l'abbé, tandis que dehors sous le soleil de juin tous, élèves, parents et dignes Jésuites s'adonnaient à d'honnêtes mondanités. Mon initiation aux moeurs hautaines fut sulfureuse.
S'excusant avec une grâce exquise pour cette absence inopinée auprès du supérieur qui causait à présent avec son mari, l'infidèle, très enjouée, se joignit à la conversation qui tournait sur les valeurs sans cesse grandissantes de la vertu chez les femmes du monde : le mari ne manqua pas de s'en féliciter avec l'abbé. La libertine acquiesça avec gravité.
Envoyé à un auteur hermétique :
Votre verbe m'est rébarbatif. Vous êtes odieux en vérité : vous êtes sec, long et ennuyeux, et finalement stérile. Vous avez manqué votre cible puisque vous m'êtes désagréable. Vous manquez de courtoisie. Vous auriez dû parler de la pluie ou du beau temps, ou encore de mon beau chapeau, mais certainement pas de linguistique.
Ce que vous dites est sans doute très instructif pour des spécialistes de la chose, mais il ne présente nul intérêt pour un coeur d'enfant comme le mien.
102 - A une effrontée
Mademoiselle l'impudente,
Souffrez, arrogante, que la froideur que vous affichez en ma direction m'offense, m'offusque, me pique au vif. Comment osez-vous me faire un tel affront ? Nul jusqu'à maintenant n'avait eu l'audace de bafouer de la sorte mon nom (et surtout ma chère particule), l'audace d'espérer museler ma plume à travers son INDIFFERENCE !
On me raillait, on se gaussait de mes vues, on se targuait de pouvoir avec moi croiser le fer et de me faire succomber sous quelque coup de maître imaginaire, mais on ne me méprisait pas de semblable façon ! Au point de vouloir me jeter dans les épines infâmes de l'oubli... Votre dédain est une insulte. Quoi ! Mes discours vous ennuient ? Mon beau nom à rallonge n'a pas l'heur de vous plaire ? Mon jugement personnel ne trouve pas grâce à vos yeux ? Ma pensée et mes paroles ne vous siéent point ? Mais à quelle espèce appartenez-vous donc, Mademoiselle ?
A la plèbe, assurément.
A quel étrange sort abandonnez-vous votre coeur de vierge si les mots les plus vrais de l'amour ne retentissent pas en celui-ci autrement que par ces méchantes allures d'indifférence ? Votre mépris à l'endroit de ma personne ressemble d'ailleurs à de l'indolence amoureuse. Ou à un semblable objet de misère. Et puis de nos jours les simples bergères font les fières devant les princes, dédaignant les moindres politesses... Elles font de la cérémonie, elles revendiquent, elles exigent ! Nul égard pour le noble sang. Point de respect pour la belle espèce. Aucune considération pour l'homme de bien. Pas plus de déférence que ça pour la particule. Avez-vous au moins une once d'estime pour le beau et interminable nom qui me désigne, Mademoiselle ?
Servez donc les causes qui vous sont aimables. Mais n'appelez pas "amour" tous vos communs objets d'attention féminine, vos petites passions qui ne me concernent pas, vos ordinaires sujets de curiosité... Et oubliez-moi, de crainte que vous ne me rendiez pas conventionnellement, convenablement, saintement hommage.
103 - La langue comme une épée dévouée
L'on exige souvent de moi que je sois bref pour bien discourir du sujet de l'amour. Parler peu ne signifie pas nécessairement parler bien. Si Internet n'est pas fait pour s'exprimer, pour communiquer, alors quel est véritablement son rôle ? Dans ce cas je vois Internet comme le reflet de notre société pressée : il ne faut pas s'attarder, il faut être prompt, efficace, sans fioriture, et parler de l'amour d'une manière nette et concise comme on rédigerait un C.V.
Je vous le confesse sans détour ici : lorsque je lis des messages extrêmement brefs et souvent totalement vides de contenu, pour ainsi dire absolument superficiels, je me dis que les utilisateurs d'Internet sont IMMATURES, INFANTILES, INEPTES.
User d'Internet pour s'envoyer des "Salut, comment ça va ?" ou bien des "L'amour c'est sympa, crois-moi !", ne présente nul intérêt sur le plan de la communication.
L'amour est un grand et noble sujet qui ne doit pas être jeté en pâture au peuple, à la masse, à la racaille, aux coeurs moyens, aux incultes, aux esprits mal faits, aux âmes corrompues par la religion matérialiste.
Me reprocherait-on mon vocabulaire, ma manière de dire, mes opinions ? Mais je ne suis point comme la plupart de mes contemporains manipulés : je suis apte à me forger mes propres convictions, et heureux de laisser s'épanouir ma propre sensibilité. Je prends la liberté de ne pas singer la masse. Je n'adhère nullement aux mouvements de charité orchestrés par les Grands Manipulateurs. Je cite ici quelques exemples types de cette manipulation, afin de mieux vous éclairer :
Défense acharnée de la planète et de ses hôtes à deux, quatre, voire six pattes, tels qu’oiseaux rares, ours lâchés dans la nature, larves de mer (les bébés phoques), obscurs insectes de l'Amazonie lointaine... Et d'une manière générale, combat irraisonné pour la promotion et la sauvegarde d'un bestiaire choisi auquel on prête volontiers des qualités plus qu'humaines.
Je suis fier de n'appartenir en aucune façon aux "grands coeurs" sensibles aux causes écologiques et humanitaires. Je sais que l'amour courtois n'est pas à la mode en ces temps. Il est de bon ton de s'émouvoir du sort de nos "amis les bêtes", des licenciés économiques, des chiens errants, tous dignes d'occidental intérêt, plutôt que de s'émouvoir de mon cher nombril, pourtant bien plus digne d'intérêt à mes yeux.
A présent je m'adresse à qui aura l'intelligence de se reconnaître dans mes propos. Sachez que les singes ne savent pas parler de l'amour. Les singes ne font que copuler. Ils ne font qu'imiter stupidement, jamais ils ne créent. Les singes sont d'abord et avant tout des animaux. Les dauphins également, ainsi que les chevaux, les bébés phoques, les baleines et les chiens... Toutes vos chères victimes à plumes et à poils ne sont que de la basse espèce. Qui osera prétendre le contraire, et désacraliser l'Homme et l'Amour au profit d'une mode animalière ou d'une cause quelconque savamment médiatisée ? Maintenant l'Homme parle à l'Homme : la langue sert l'amour.
104 - Le temps
Je suis seul ce soir.
Je sens le poids du passé, et je respire ses odeurs de fauve et de rance, comme un terreau retourné, comme un corps soulevé. J'étouffe dans mon silence, et meurs de vivre. Ma mélancolie me renvoie ses effluves fermentés. Comme si le passé avait fini par tourner. Soucieux pour tout ce qui est futile (tout ce qui ne se rapporte pas à l'avenir économique, alimentaire), je suis parvenu au bout de mes inquiétudes. Où sont les beaux jours de l'amour ? Dans le passé, comme toujours. Enracinés, énumérés dans mes souvenirs. Ressassés. Il paraît qu'il vaut mieux regarder en face de soi, dans l'avenir.
Mais je le connais bien mon avenir. Je ne suis pas de ces fous qui mettent leurs plus beaux jours dans le futur : les miens sont restés dans le passé.
La mélancolie ne vaut-elle pas mieux que l'espoir, quand celui qui espère attend de devenir enfin mélancolique, sachant que la mélancolie est une délicieuse souffrance ?
Je n'espère vivre que des jours dignes de rejoindre un passé dolent, sacralisés par la mélancolie, le regret, la langueur, le deuil, les larmes.
Je suis seul ce soir, et mon souffle est pour vous.
105 - L'objection d'un honnête godelureau
Mademoiselle,
Je serais bien en peine de discerner entre nous la part d'amitié qui vous fait me dire maintes amabilités et me fait volontiers les entendre selon nos communes normes, et la part de commerce plus intime qui guide trop souvent votre plume au-delà des pensées, des mots auxquels nous sommes à l'ordinaire plus accoutumés.
Si je vous réponds souvent sur un semblable registre, soyez convaincue Mademoiselle que c'est surtout pour vous mieux plaire et garder votre amitié. Lorsque dans les lettres que vous me destinez les mots dépassent l'élémentaire bienséance qui sied à une telle entente, je réponds par une même audace, soucieux avant tout de constance, de durée, de réciprocité. Et non avide de sensualité. Pour être agréable à vos yeux je feins de partager vos désirs de volupté charnelle, alors qu'en réalité je suis, en lisant vos lettres, sous l'empire d'une joie plus désincarnée...
L'émotion élevée du coeur vaut mieux que l'ivresse plus commune, grossière et moins honnête de la chair. Non Mademoiselle, je ne suis pas ce bouc épris de luxure que vous aviez imaginé. Ma place n'est point sous vos dentelles, au seuil de votre hymen, au centre de votre fièvre, mais dans votre coeur. De grâce, pour l'avenir préservez ma chasteté de vos impudeurs. Comprenez qu'à force de lire vos lettres, et ce indépendamment des mots écrits, de leur contenu, mon coeur s'est finalement réglé sur ces lignes vôtres qui pourtant violent ma mâle pudeur, battant au rythme de votre plume devenue fidèle. Votre plume qui, en dépit des outrances qu'elle m'adresse, vient à moi chaque jour comme une amante à des rendez-vous.
Je ne vois que votre main qui tient la plume, et non pas les mots corrompus qu'elle invente pour me mieux perdre : mon coeur se fait plus sensible que ma chair muette.
Cessez vos discours éhontés. Tenez-moi plutôt des propos honnêtes Mademoiselle, que je puisse sans rougir les faire entendre à mes plus respectables confidents : Madame ma mère et Monsieur mon père. Quel bonheur si je pouvais porter à leur connaissance notre amitié ! Depuis tant d'années qu'ils brûlent de me voir en honnête compagnie... Hélas ! pour le moment vous n'êtes pas digne de paraître sous le toit parental. Trop de passions charnelles de votre part gâtent nos rapports.
Que n'êtes-vous point portée vers les chastes et doux élans du coeur en proie aux tourments exquis de l'amour ? Plutôt que d'écouter les sombres ébranlements de votre corps femelle si faillible, ouvrez votre âme aux joies innocentes des langueurs amoureuses : elles donnent des ailes aux coeurs les plus rustres et parviennent à faire oublier les pesanteurs de la chair... Aimez-moi dignement Mademoiselle : aimez-moi de tout votre coeur.
Et rien qu'avec votre coeur.
106 - Ces monstres appelés "surdoués"
En spectateur attentionné et critique, j'ai cru bon de devoir regarder une émission télévisée populaire traitant du phénomène curieux et monstrueux de ceux que l'on nomme avec beaucoup de considération les "surdoués".
Les "surdoués" en question, sujets de tant d'attention, ne se sentaient nullement supérieurs, comme ils le disaient si bien. D'ailleurs cela eût été fort mal vu, très "télégéniquement incorrect" si tel avait été le cas. Cependant l'on admettait parfaitement que ces nabots reconnussent en eux une espèce d'infériorité due à leur différence. Etrange... Se sentir supérieur serait une aberration, une insulte envers l'humanité entière, tandis que se sentir inférieur serait louable ?
Afin que ce sentiment d'infériorité si bien toléré par la société puisse avoir la moindre signification, il faudrait qu'en contre-partie le sentiment opposé, la supériorité, puisse être également admis dans les coeurs. Reconnaître le sentiment d'infériorité chez soi comme une réalité qui n'offense en rien le nom de l'humanité (et même parfois en faire l'éloge par pure confusion avec le sentiment d'humilité) oblige à admettre que le sentiment de supériorité est une chose aussi réelle, aussi naturelle à l'homme. La signification sociale d'un sentiment, qu'elle soit négative, neutre ou positive, n'ôte en rien la réalité de ce sentiment.
Si hors contexte social le sentiment d'infériorité est légitime à l'homme, à l'individu, au surdoué, pourquoi dans l'absolu le sentiment de supériorité ne le serait-il point ?
Personne n'éprouverait donc ce naturel sentiment de supériorité ? A moins que personne ne veuille avouer ouvertement, soit par éducation, soit par humilité mensongère, qu'il se sent supérieur à son voisin...
Moi je me sens supérieur à mon voisin.
Je n'ai pas besoin de me faire élire surdoué ou sous-doué pour cela. Le sentiment d'infériorité ou de supériorité n'est pas l'apanage des cancres ou des premiers de la classe. En tous cas je n'ai pas cette coquetterie déplacée de jauger le coeur et l'esprit d'une manière aussi convenue. S'il fallait attendre d'être un surdoué pour se sentir supérieur à son voisin, ce serait quand même bien dommage !
Ou bien ces petits surdoués sont de véritables petits saints, ou bien je suis un monstre d'égocentrisme et de cynisme.
Je me moque du Q.I. supérieur de mon égal. L'individu est fort heureusement autre chose qu'un simple Q.I. Mais allez donc faire comprendre cela à des géniteurs moyens empressés de donner des ailes au fruit banal de leur hyménée banal...
107 - L'éclipse d'août 99 : les plus ridicules effets
Dans notre société les cafés littéraires, les cafés philosophiques, les éclipses solaires ou bien les 31 décembre sont devenus des phénomènes de mode à finalité mercantile. Et lorsque cela n'est pas purement mercantile, c'est "déstru-culturel". Soit mes contemporains sont les victimes insidieuses de vastes entreprises commerciales, soit ils se "décultivent" la cervelle en se la ramollissant.
Les avez-vous vus, ces millions de paires d'yeux fixant le soleil, dissimulés derrière des verres opaques ? On a suggéré à ces pantins "esti-veaux" de s'extasier, alors par millions ils se sont extasiés, aidés par les clameurs programmées des radios et télévisions à la botte des marchands de poudres lavantes : le spectacle cosmique relayé par les ondes se doit d'être lucratif. Les plus sots auront fait un long voyage jusqu'à la zone la plus ombreuse. Pour pouvoir dire "j'y étais". Futilité ! Fumée ! Inconséquence ! Pire : pour prendre des photos d'amateur. Intérêt zéro. Certains se sont achetés des maillots à manches courtes avec une éclipse imprimée dans le dos du plus mauvais effet. D'autres ont fait la fête. Pour fêter quoi ? L'éclipse voyons !
Et puis une fois l'éclipse passée, le peuple s'est inventé de nouvelles passagères "passions". Je gage que la prochaine ruée vers le vide, l'ineptie, la sottise se fera le soir du prochain 31 décembre. Des veaux humains laisseront éclater leur joie. Quelle prodigieuse fête fut le 31 décembre 2000 ! C'est que les chiffres ronds exercent un étrange pouvoir sur les foules. Ces chiffres magiques font acheter, dépenser, festoyer, beugler en choeur les masses.
108 - Lettre à mes amis des listes sur Internet
Chers co-lisiers,
Lorsque je lis vos messages, je m'interroge sur l'intérêt du NET. A l'évidence le peuple ne sait pas user de cet outil ludique de communication. Il ne fait que transposer sur un mode informatisé l'ineptie de sa condition. Vous vous parlez en vain, vous vous envoyez des gentillesses, des banalités, des petits riens et des grands vides : vous n'avez vraiment rien à vous dire. Vous me faites songer à des tous petits enfants à qui l'on aurait offert des pièces d'or et qui ne sauraient pas s'en servir et dilapideraient ces jolies choses jaunes en s'en servant comme le ferait le Petit Poucet avec sa mie de pain. Vous semez inutilement des mots en l'air.
Vous avez de l'or entre les doigts, et vous le gaspillez sans le savoir mes pauvres amis... Vous n'avez rien à vous communiquer, sinon des considérations météorologiques ou ménagères. Vous manquez irrémédiablement d'esprit, de coeur, de finesse et d'envergure. Vous êtes une pitoyable assemblée de "caqueteurs", de dindons, de chèvres, de veaux meuglant et de roquets aboyeurs. Et le NET n'est qu'une immense basse-cour qui abrite vos ébats sans lendemain, vos coups sans éclat, vos séniles petitesses.
Vos "Hi-Han !" d'humbles équidés, vos caquètements de stupides volatiles m'affligent vraiment : je ne puis pas même compter sur vos placides réactions de ruminants et d'écervelés pour entreprendre un digne combat avec vous. Ha ! Combien il me plairait de me mesurer avec un adversaire de ma trempe ! Le beau duel en perspective ! Mais non, vous faites les ânes, et je ne puis ici, en guise d'épée virtuose et vengeresse qui servirait la cause impérieuse de l'art, que vous menacer du bâton pour vous faire taire, ou bien vous appâter avec la carotte de la plus lisse amabilité pour vous mieux amadouer quand je le veux... Mon épée, je préfère la garder pour chercher querelle à des D’Artagnan de mon espèce.
109 - Une existence de pompiste
A me frotter aux affaires communes inhérentes à l'existence humaine, inévitablement j'en viens à côtoyer, et c'est bien fâcheux, le vulgaire. Dans toute sa détestable ampleur. Les minuscules, moyennes ou énormes aspirations matérialistes de mes contemporains m’affligent. Mais je n'oublie pas de m'en amuser pour autant.
Par exemple devant un brave pompiste j'affiche toujours un simiesque sourire social en me faisant passer pour un des siens : un frère du quotidien, un coeur somnolent, un esprit horizontal, convaincu comme lui-même que mon salut dépend de la qualité du carburant qu'il me vend et, accessoirement, de la marque de mon véhicule, ainsi que de tous les objets manufacturés qui m'entourent... Pauvre pompiste pour qui j’éprouve une sincère pitié en secret derrière mon sourire de façade.
Pauvre pompiste… Mais il y a encore tous les autres : ces pauvres banquiers trop occupés pour me prendre au sérieux, ces pauvres salariés trop humbles pour oser penser au lieu de faire les ruminants. Pauvres nantis et déshérités que sont ces gens-là ! Pauvre égal, pauvre semblable, pauvre homme, pauvre frère, que celui qui mise tout sur le visible, le palpable, le négociable.
Quelle inconséquence chez ces adultes majeurs, responsables et chefs de famille...
Face au quidam qui tend ses billets à celui qui lui vend des richesses matérielles, j'éprouve une pitié christique. Il faut voir les faciès satisfaits de ces gens immatures, infantilisés par leur sérieux de circonstance, voir avec quelle conviction cette humanité grotesque patauge dans ses rites puérils… Ce sont des mines pleines de félicité temporelle. Mais vides d'idéalisme. De pauvres gens sans espoir de devenir autre chose que des consommateurs exigeants, "connaisseurs avertis" même sur les questions matérielles.
C'est ça la culture de l'abrutissement. C'est penser, le coeur pleinement convaincu, qu'il faut mettre du carburant de qualité dans le réservoir de son véhicule. Parce qu'un moteur à explosion, pour un honnête homme qui travaille, qui connaît la vie et qui sait ce qu'il veut, c'est important. Ils le croient tous, ces conducteurs salariés, ces pères de famille, ces pêcheurs à la ligne qui ont des rêves de vacances sous les cocotiers pour tout idéal.
Depuis longtemps j'ai renoncé à parler « sérieusement » aux pompistes, aux marchands de tous bords, aux banquiers et à tous ces inconnus aux intentions mercantiles : je me contente de leur sourire, leur faisant croire ainsi que je suis de leur monde, préoccupé comme eux par des affaires domestiques.
Pauvres pompistes. Avec eux encore moins de chance de leur parler : j'ai cessé de posséder un moteur à explosion.
110 - Mémoires d'un libertin
Très tôt se révéla ma vocation donjuanesque : dès l'âge puéril je ne songeais qu'à plaire aux jeunes servantes qui se succédaient au château familial. J'usais des intrigues les plus candides pour gagner leur coeur et faire triompher ma cause. Par des séductions certes un peu perfides dans le fond, mais dans la forme charmantes, adorables aux yeux des adultes, j'étais parvenu à me constituer quelque informel harem de paysannes et de lessiveuses. Ces rustiques furent mes premières courtisanes. Elles m'entouraient si bien, me prodiguaient tant de chaleureuses attentions qu'il me fallut peu de temps pour entrer dans le secret de leur gynécée, ayant droit de cité jusque dans leur impénétrable alcôve, allant et venant le plus simplement du monde entre corsages et jupons, l'innocence de mon âge jouant naturellement en ma faveur.
C'est par elles que j'appris à fourbir mes premières armes de séducteur. Les adultes ne s'imaginent pas la qualité de certaines aspirations qui peuvent naître dans le coeur de ceux qu’ils traitent avec tant de puérilités. Ce qui représentait déjà pour moi une véritable initiation à un art majeur dont je découvrais de jour en jour les règles vitales, apparaissait du haut de leur brèves vues comme de simples enfantillages, d'anodines espiègleries, d'inoffensives bagatelles nés de l'âme honnête de l'enfant que j'étais. Ainsi me jugeaient mes précepteurs : j'étais un angelet. Peut-être juste un peu plus dissipé, un peu plus imaginatif que la moyenne, mais certainement pas déjà un fervent disciple de Casanova.
Cette vocation s'affirma avec une virile certitude lorsque j'entrai chez les Jésuites, à l'âge pubère. Là, on m'enseigna fort doctement et magistralement, avec ce qu'il faut d'autorité, les préceptes salutaires de la tempérance, du célibat, de la sobriété en tout. J'en sortis quelques années plus tard parfaitement impie, libertin et persifleur, déjà fort instruit des pratiques luxurieuses et de la science amoureuse, les deux étant naturellement indissociables chez moi.
Soyons justes : chez les Jésuites l'enseignement amoureux, pour n'être pas officiellement de rigueur n'en est pas moins inscrit au programme, officieusement. Du moins en ce qui concerne l'élite des «débauchés» de mon espèce. Audacieux et toujours insatiable de savoir, j'allais nocturnement prendre des cours particuliers auprès d'une préceptrice, ma foi assez compréhensive, qui officiait ordinairement en tant qu'aide cuisinière au sein de la sévère institution. Je prenais sur moi l'inévitable surmenage que me causaient ces heures supplémentaires d'instruction pratiques, lesquelles entraînaient quelques désagréments que je me faisais fort de dissimuler à mes maîtres, de crainte de ne point faire honneur à leurs cours comme ils l'auraient souhaité et de les blesser dans leur orgueil. Aussi, au prix d'un nécessaire effort qui est devenu par la suite un jeu, une sorte d'amusant défi, j'affichais en tout temps une mine studieuse qui les flattait incontestablement.
Ainsi je plus à mes maîtres.
C'est à cette occasion que j'appris une chose essentielle en ce qui concerne les choses et les êtres de ce monde dont j'étais issu : en tout l'apparence prévaut sur les mérites authentiques. Je sais pour l'avoir vécu, expérimenté, vérifié, qu'on n'estimera jamais assez les âmes de bonne volonté et de bonne composition qui n'ont de cesse d'afficher en toute circonstance une humeur égale. Faire bonne figure à tout prix, voilà un des grands principes fondateurs chez les élites de mon espèce, un des secrets de la réussite chez les adeptes de l'honnêteté, de la religion et des traditions. L'apparence est une grande qualité chez les gens du monde. J'ai su tirer le meilleur profit de cette vérité.
Certes, l'apprentissage nocturne de cette science mystérieuse qu'est l'amour charnel me coûtait quelque peine. Les bâillements intempestifs que je devais réprimer en toutes heures attestaient cette peine, mais cela ajoutait, pensais-je, à mon mérite. Ma soif d'apprendre n'en était pas amoindrie pour autant. En effet, en dépit de ces menues contrariétés, j'étais, il faut l'avouer, très assidu aux enseignements prodigués par ma maîtresse ès cuisines. Au terme de leçons laborieuses, appliquées, je décrochai mon diplôme d'hédoniste, au moins à titre officieux.
Ainsi dûment récompensé de mes efforts, j'eus l'occasion et l'insigne privilège de déployer mon savoir au sein même de cette digne institution qui m'avait si bien formé. En effet, au jour solennel de la remise des prix je jetai mon dévolu sur la mère de l'un de mes camarades, authentique bourgeoise (entretenue par un frileux époux aussi jaloux que cupide) à la beauté évanescente, véritable créature mondaine vouée aux plaisirs sacrilèges de la chair, et catin notoire. C'était en tout cas le bruit qui courait dans le cercle très étroit des esthètes corrupteurs dont je n'allais pas tarder à faire partie. Une telle renommée ne pouvait échapper au blasphémateur averti que j'étais en train de devenir. A voir de plus près le phénomène, je compris de grandes choses quant aux vrais dessous et faux dehors du grand monde...
La proie avait ces attraits subtils chers aux artistes. Je fus subjugué. En outre, la réputation scandaleuse de cette femme de haute classe lui conférait une seconde beauté. Effet galvanisant pour un "honnête" godelureau de mon espèce ! Ce fut pour moi la perspective d'une sorte de baptême du feu. Je ne tardai pas à me mettre en meilleurs termes avec l'épouse indigne (mais excellente mère au demeurant), mettant à l'oeuvre mes naturels penchants de profanateurs, argumentant avec autant d'audace que d'adresse. La dévoyée ne se fit pas insensible à mes avances.
Après quelques nécessaires et habiles manoeuvres pour me retrouver seul en cette estimable compagnie, je pus bientôt lui rendre un tendre hommage dans le bureau déserté de l'abbé, tandis que dehors sous le soleil de juin tous, élèves, parents et dignes Jésuites s'adonnaient à d'honnêtes mondanités. Mon initiation aux moeurs hautaines fut sulfureuse.
S'excusant avec une grâce exquise pour cette absence inopinée auprès du supérieur qui causait à présent avec son mari, l'infidèle, très enjouée, se joignit à la conversation qui tournait sur les valeurs sans cesse grandissantes de la vertu chez les femmes du monde : le mari ne manqua pas de s'en féliciter avec l'abbé. La libertine acquiesça avec gravité.
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