jeudi 30 octobre 2008

131 à 140 - Textes de Raphaël Zacharie de Izarra

131 - Cygnes, crépuscule et avions

C'était en fin de journée. Je traînais mon ennui sur les bords de Marne, le pas nonchalant. Les feuilles mortes crissaient sous ma semelle, les barques amarrées se balançaient mollement au gré du clapotis, des cygnes faisaient des gestes gracieux sur l'onde...

Aux alentours de l'aéroport le ballet des avions à l'approche commençait à s'intensifier. Haut dans le ciel, d'autres aéronefs laissaient de longues traces blanches sur leur passage. Ceux-là ne faisaient que passer au-dessus de l'aéroport.

Avec l'arrivée du crépuscule s'estompaient les bruits ordinaires de la journée, et je pouvais entendre l'aile furtive de l'oiseau rasant l'onde, le croassement plaintif du corbeau au loin, le bourdonnement sourd des avions dans la nue.

Je stoppai le pas pour observer le vol de quelques oiseaux de belle envergure. Les yeux levés au ciel, j'admirais leurs allées et venues au-dessus de l'eau. En levant un peu plus les yeux, dans mon champ de vision apparut un des avions sur le point d'atterrir. D'un mouvement imperceptible de la pupille, mon regard passa de l'oiseau à la machine.

L'avion, que je distinguais assez bien d'en bas, changea de cap. D'un basculement ample il se mit sur le flanc, et dans cette manoeuvre son aile m'envoya un reflet de soleil dans l'oeil. Ce fut comme un minuscule éclair dans le ciel.

Pendant quelques instants je demeurai là, silencieux, attentif près des flots paisibles. Les cygnes s'étaient rapprochés de moi, à l'affût de quelque poignée de pain providentiel. Les corbeaux croassaient à l'horizon, tandis que les avions chuintaient en entrecroisant leurs fumées blanches au-dessus des nuages.

Les cygnes s'agitaient inutilement à mes pieds, quêtant vague quignon. Ne voyant venir aucune pitance de cette main humaine, ils se dispersèrent bientôt.

D'autres avions s'approchaient, prêts à atterrir à leur tour. Le ciel commençait à s'assombrir et j'avais un peu froid sur les bords de Marne.

Je m'en allai.

132 - Un ami à combattre

Monsieur,

Vous avez bien raison de m'admirer à ce point et les autres feraient d'ailleurs bien de prendre exemple sur vous. Je reconnais volontiers en vous un digne admirateur de mon authentique talent.

Votre appréciation m'a été droit au coeur. Je suis bien aise que ma prose vous agrée à ce point. Je suis flatté et honoré que votre plume ait daigné m'accorder quelque importance. Voilà déjà un heureux présage de notre entente.

Par ailleurs, votre émoi si sincèrement avoué me touche et m'honore. Et même si je suis depuis longtemps accoutumé à la chose, je ne me lasse point des éphémères éloges, et sais toujours rendre un juste hommage à ces âmes averties qui ne craignent pas de louer celui qui ose allumer certains feux.

Les circonstances m'obligent donc à vous répondre ici avec coeur. Ce qui est non seulement concevable, mais encore nécessaire si l'on veut éprouver l'ardeur naissante de ce premier mouvement.

Toutefois laissez-moi vous prévenir que j'aimerais faire d'un phénomène tel que vous mon pire ennemi. En effet, au regard de la qualité de celui qui ose vers moi ces dignes éloges, un duel se doit être envisagé. Et sous les meilleurs augures encore ! C'est inévitable. Vous êtes brillant, vous êtes beau, vous êtes à ma hauteur : engageons donc les hostilités sans plus tarder !

Je vais imaginer quelque futile prétexte afin de vous chercher querelle, beau Monsieur. Ne vous soustrayez surtout pas à mon fer vengeur, le duel entre vous et moi s'annonce piquant et risque donc d'être particulièrement savoureux. Un véritable feu d'artifice, inutile et beau.

A bientôt cher ami.

133 - Un hérétique avisé

Je viens de terminer une discussion longue de plus d'une heure avec deux Témoins de Jéhovah venus me rendre visite pour proposer leur sainte vérité. En résumé, il y eut ces deux Témoins de Jéhovah et une contre-balance nommée Raphaël Zacharie de Izarra. Pas facile dans ces conditions de répandre la prétendue bonne parole. Raphaël Zacharie de Izarra ne fait pas partie de cette moyenne moutonnière molle, insipide et facile. La vérité "jéhovahesque" n'est pas si évidente à faire entendre à ceux qui osent la discuter avec autant de coeur. Ce serait bien trop simple. Dieu merci, les Témoins de Jéhovah doivent aussi compter avec le facteur redoutable "RZDI".

Lui, Raphaël Zacharie de Izarra, il ne leur claque pas la porte au nez aux Témoins de Jéhovah : il les fait entrer pour leur servir plus d'une heure durant son épaisse soupe izarresque, bien consistante.

Et c'est à l'aune de ce facteur que l'on peut mesurer l'extrême difficulté de faire partie du "club" des Témoins de Jéhovah... Acte héroïque ou pure inconscience de la part de ses adeptes ? Je leur fais face comme un roc de granit. C'est là mon rôle. Il ne faudrait pas m'oublier, je fais aussi partie de cette réalité du monde, tout autant que les Témoins de Jéhovah. Peu importe que l'on pense que je suis hermétique à la vérité des Témoins de Jéhovah, que je suis hérétique ou que mes propos sont infâmes : je fais partie de ce monde. Ca aussi c'est une vérité. Peu importent mes raisons, le monde est monde.

Il y a la théorie, et il y a la pratique. Il y a les paroles, les pensées, et il y a les faits. Les Témoins de Jéhovah ignoreraient-ils semblable évidence ?

La vérité n'est pas l'apanage des plus convaincus, mais des plus forts. C'est-à-dire de ceux qui demeurent, ceux qui sont, ceux qui forment la structure de ce qui est.

Les Témoins de Jéhovah ne sont, selon moi, qu'un incident mineur parmi tant d'autres dans la grande marche de l'Humanité vers son destin.

134 - Une visiteuse

Un soir on a frappé à ma porte. J'ai ouvert en hésitant un peu car les douze coups de minuit venaient juste de sonner. Une étrangère au teint blafard et au sourire ravageur est entrée. Elle s'est invitée d'elle-même non sans une certaine désinvolture. A peine passée le seuil de ma porte, l'hôte indésirable m'a aussitôt tenu un discours sans ambages :

- Raphaël, je suis venue te chercher. Le glas a sonné pour toi. Viens donc contre moi que je t'enlace, t'embrasse, te serre dans mes bras d'airain, avant de me suivre jusqu'au fond des ténèbres.

- Madame, qui que vous soyez, souffrez qu'à une heure aussi indue je n'aie pas l'intention de suivre la première mendiante venue. Passez votre chemin, vile séductrice, et ne vous avisez plus de m'importuner. Adieu !

Mais elle a tant et si bien insisté qu'elle est restée. Et nous avons passé ensemble la nuit. Ricanante, laide et perfide, mais d'un charme venimeux, elle m'a tenu tête, tentant obstinément de m'attirer à elle.

- Raphaël, vois mes belles dents blanches. On m'appelle la Ricaneuse et ça n'est pas pour rien. Ne les trouves-tu pas à ton goût, mes belles dents blanches ? Mon sourire est irrésistible, inextinguible, éternel.

- Et mortel !

- Certes.

- Madame, s'il est vrai que l'on vous appelle habituellement la Ricaneuse, permettez que je vous nomme à mon tour la Crâneuse car il me semble que vous avez bien des atouts de ce côté-là.

- Raphaël, si tu ne veux pas de moi, moi je veux absolument de toi. Et il faudra bien que tu finisses par agréer à mes vues, aussi austères soient-elles. Je sais que je ne te plais pas. Mais toi tu me plais. Tu seras à moi cette nuit-même, et je t'emporterai dans mon royaume.

- Vous êtes bien laide Madame, mais il est vrai que votre laideur est belle à regarder. Eh bien soit ! Je consens donc à partager avec vous ma couche, puisque vous êtes si persuasive. Mais je vous préviens, demain dès l'aube je ne veux plus vous revoir. Vous repartirez sans faire d'histoire, ni sans rien me demander. Faites-m'en la promesse ici.

- Je puis te faire cette promesse maintenant Raphaël, car avant l'aube je sais que tu seras à moi pour toujours. La question ne se posera donc plus.

- C'est ce que nous verrons, amoureuse maudite !

- Tu seras à moi te dis-je. Le risque est nul pour moi en te faisant une si ridicule promesse, puisque je serai de façon certaine la gagnante et tu seras le perdant. Ignorerais-tu donc mon pouvoir ? Ceux qui s'étendent en ma compagnie ne se relèvent en général jamais. Cette nuit tu t'endormiras dans mes bras sans même t'en rendre compte. Ton dernier sommeil sera doux : ma caresse fatale sur ton coeur sera insidieuse, imperceptible. N'oublie pas que j'agis toujours à la manière d'un voleur. Sans jamais avertir, sans un bruit, sans un mot. A pas de velours.

- Et moi je vous dis que vous ne m'emporterez pas cependant.

- Tais-toi donc pauvre prétentieux, et fais-moi une place dans ton lit.

Nous avons donc froissé les draps ensemble, la Camarde et moi. Mon amante était décharnée de la tête aux pieds et sa chair était sèche et froide. Ses doigts osseux étaient un supplice sur mon corps. Son haleine sentait le caveau et ses gémissements de plaisirs étaient rauques comme les soupirs d'un moribond. Mais je suis resté jusqu'au bout avec l'odieuse maîtresse. Son étreinte était dure et glacée comme le marbre, ses caresses étaient âpres et aiguës comme les cailloux, ses baisers étaient lugubres et morbides comme un chant sépulcral.

Les ébats nuptiaux furent affreux.

Mais je lui avais donné tant et tant de plaisir, à cette catin du diable, qu'elle en avait redemandé toute la nuit durant. Encore et encore. Et bien que l'aube arrivât déjà, ivre de voluptés et avide de nouveaux plaisirs, la sinistre amante m'enlaçait encore, oubliant la raison primordiale de sa visite.

Ma ruse avait réussi.

- Le soleil s'est levé, partez maintenant, puisque vous me l'avez si bien promis. Et que je ne vous revoie plus avant longtemps !

Et la Mort dut tenir sa promesse.

135 - Je dis à ma jeune nièce ce que je pense d'elle

Ma nièce,

Vous êtes décidément bien niaise, Mademoiselle la pimbêche. Souffrez que je n'aie que faire de vos puérils émois de gamine, et que vos manifestations d'allégresse en direction de je-ne-sais quel dérisoire objet d'infantile attention m'incommodent plus sûrement que n'importe quel autre désagrément domestique. Vous avez la piètre, risible et infâme éloquence de ceux qui ne savent point parler ni écrire, ni même chanter. J'ose railler votre jeune âge, votre inexpérience, votre ignorance !

Je me gausse de vous, de vos vues, de vos rires et de vos larmes, Mademoiselle la jeunette ! Sachez que vous n'êtes rien, tandis que je suis tout. Les enfants ne valent rien, strictement rien du tout à mes yeux. Ce sont juste des espèces de meubles encombrants et bruyants que l'on pousse sans le moindre égard lorsqu'ils gênent le passage. Les adultes ont besoin d'espace, de liberté, d'air. Et les enfants ne cessent (les monstres !) d'étouffer les adultes. Un enfant, ça ne devrait pas avoir le droit de rire. Les rires des enfants sont des offenses aux personnes adultes qui ne rient jamais et se préoccupent toujours d'argent.

Votre parent.

136 - Votre plume et mon aile

Conseils à une jeune novice de la plume.

Puisque vous souhaitez si impérieusement enfanter de votre plume, osez l'aventure des mots. Les muses daigneront dispenser leurs secrets à un coeur si avisé. Ces prêtresses de la lyre élisent dans un premier temps ceux qui savent se montrer dignes de leurs avances. Et je vous sais amoureuse de leurs chants inaccessibles. Vous faites donc partie du Parnasse des postulants. Faites chanter votre plume et séduisez les dieux, ils vous le rendront bien.

Avec adresse, patience et rigueur maniez toujours dans le bon sens la langue, creusez avec sagesse le verbe, cherchez avec justesse la délicatesse ou la brutalité de votre verve, affirmez votre style, puis modérez-le : tout est dans la mesure, le bon goût, la discrétion. Tout en évitant de tomber dans la banalité. On peut briller sans être vain, de même qu'on peut être bon sans être stérilement agité. Sondez les ténèbres de votre encre et révélez son éclat : le miracle de l'Art est là.

Soyez différente surtout. Exigez de vous une originalité sûre, sans jamais vous départir d'un classicisme de bon aloi. À mon exemple, bafouez toutes les lois de la standardisation : son fruit suprême et unique à la saveur de l'ennui. Raillez les vanités infructueuses des sages modèles policés du monde, et opposez-leur une face rebelle, un regard supérieur ! Jouez de la différence avec virtuosité, avec éclat, avec insolence ! Offensez l'ordinaire, agitez l'inerte, secouez le monde et ses sédentaires occupants ! Il faut aux coeurs élevés bannir le commun au profit du superbe. Le monde est si plat autour de nous, donnez-lui du relief ! Fuyez la grisaille des communs archétypes et accompagnez-moi dans les nuances vives de la vie débarrassée de ses chaînes insanes.

Mon âme est brûlante, mon coeur est héroïque. J'ai la mesure d'un roi, d'un prince, d'un chevalier. La vie déborde en moi. Parce que je maîtrise le rêve. Je suis né avec une lyre dans le coeur, et je suis condamné à chanter l'amour toute ma vie. Voilà pourquoi nous nous retrouvons aujourd'hui vous et moi, unis dans l'amour de l'écrit.

Ne craignez pas la bataille, ni le ridicule : si votre art est discipliné, votre technique domptée, votre peine dépassée, votre angoisse vaincue, vous pourrez fanfaronner en toute impunité avec vos lauriers pourvu que nul ne sache vous rattraper sur votre propre terrain. Personne n'osera vous usurper une si éclatante couronne si elle est bien méritée. Vous règnerez sur un royaume de lettres : les mots vous appartiendront.

Ils seront vos sujets.

137 - Ma liberté, ma particule et les autres

Lettre à un détracteur.

Souffrez donc, inconsistant adversaire, que l'humilité soit l'orgueil des âmes faibles, des coeurs mous, des petits esprits, des sans noblesse. Je ne suis guère modeste, n’ayant pas les moyens de l’être : j’ai encore trop d’envergure pour servir une si piètre cause. Pendant que les modestes pataugent dans leur modestie, laissons parler les beaux sangs.

Jugez par vous-même : mon nom (qui n'est pas un pseudonyme) est déjà tout un roman en lui-même. Je suis un roi, un prince, un chevalier. Pas un épicier.

Ma verve hargneuse est ma coutumière signature. Ici mon verdict fait autorité, que cela vous plaise ou non. Je puis par exemple m'autoproclamer roi de la Lune si je veux : nul ne peut me contester semblable titre tant que rien ne s'y oppose raisonnablement. Voudriez-vous donc, au nom de cette modestie dont on fait si grand cas ailleurs, disons dans le peuple, que je m'agenouille devant la roture comme un misérable que je ne suis pas ? Et pour prouver quoi je vous prie ? Que je suis issu de la vile société de ceux que je méprise tant ?

Je ne vous apprends rien en vous disant que j'appartiens à la belle espèce des "de". Je suis noble, je suis grand, je suis beau, je suis riche, je suis fort, je suis fier. Fier et fier. Et encore fier. Mon humilité, je ne la place certes pas dans ce qui vous agrée : grâce à Dieu je demeure libre de mépriser qui je veux, et pour la raison qui me chante encore. Contrairement à la plupart de mes semblables...

Je suis libre de glorifier le banquier, le notaire, le curé, et de railler ces jeunes idéalistes sans le sou assoiffés de vent, de poésie et d'autres richesses impalpables, sans valeur à mes yeux. Je suis libre de préférer l'argent, le confort, la sécurité de ma personne, la préservation de mes biens matériels à cette pseudo ivresse de l'âme que procurerait la poésie des amateurs... Laissez-moi plutôt m'enivrer de mes propres oeuvres.

Je me suffis amplement à moi-même et n'ai nul besoin que l'on me dise à quelle coupe boire. Je sais bien que l'authentique nectar de ce monde n'est pas logé ailleurs que dans mon nombril. N'est-ce pas ce que pensent au plus profond de leur coeur les petits poètes au vers ennuyeux ? J'aime mon nom, j'aime mon image, j'aime ce que je suis. Définitivement, fatalement, suprêmement.

Cette admirable franchise dont je fais preuve ici fait toute la différence entre mes détracteurs et moi, entre moi et vous.

138 - Ôtons la joie aux enfants

Mademoiselle,

Vous irez prier dans le plus austère silence, lors que vous sortirez enfin de l'âge puéril dans lequel vous vous tenez encore à l'heure même où vous lisez cette missive. Las ! J'aimerais vous voir ôter tous vos vains ornements de l'enfance, pour revêtir à la place les saints artifices de la piété. J'aimerais mieux vous voir troquer votre hochet habituel d'innocente créature -poupée de chiffon ou bien balle de son- contre le sceptre grave et précieux de la dévotion -crucifix ou bien chapelet- qui sied si bien aux âmes matures...

Ho ! Je vous en conjure Mademoiselle, chassez de votre âme infirme d'infante les démons de l'insouciance ! Venez donc avec moi vous humilier le front contre les dalles rudes des cloîtres désertés ! Venez ensevelir votre blanche jeunesse dans le digne caveau où périssent bien vite les joies impures et les rires futiles de l'existence humaine. Entrez, à la suite des âmes vertueuses et des coeurs éteints aux passions terrestres, dans ce couvent que je vous désigne aujourd'hui, dans l'espoir que, peut-être, vous tomberez subitement et miraculeusement sous ses charmes dépouillés avant que d'avoir atteint l'âge des menstruations.

Répondez-moi promptement, candide mais vaine enfant.

139 - Le vieil époux de ma nièce et ma jeunesse d'esprit

Ma nièce,

Votre insolence mérite la sévérité la plus extrême. Non seulement vous vous moquez ouvertement des préceptes de la piété, mais en plus vous semblez honnir celui que nous vous avons désigné pour époux, j'ai nommé Monsieur de la Roche-Maillard, noble et riche vieillard de la meilleure lignée qui soit.

Est-ce donc simplement sa bosse qui met tant de répugnance dans votre coeur si puéril ? Allons, si ce n'est que ça ! Ca vous passera avec le temps, Mademoiselle. Vous vous accoutumerez bien vite à son beau panache. Il faut reconnaître que Monsieur de la Roche-Maillard porte beau, avec sa bosse.

Cela lui ajoute encore un air de noblesse désuet, qui ne manque pas de charme ma foi. Finalement votre futur époux me semble bel homme. Il est vieux, il est sale, il est laid, il est bossu, bancal, myope et chauve, il est vrai. Cependant je lui trouve quelque circonstance atténuante : il est riche.

Très riche.

Quant à votre humour sur la réalité de mon âge, vous serez justement punie. Avec rigueur, sans indulgence ni moindre pitié pour votre jeune âge. Sachez que je suis un enfant Mademoiselle, et cela en dépit de mes 34 ans que vous semblez railler de manière inconséquente. Je suis jeune d'esprit, de coeur, d'expérience, de sensibilité. Mes manières sont celles d'un enfant : je sais encore m'émerveiller sur la beauté des calvaires, la beauté des larmes, la beauté des tombeaux, et la laideur des femmes. Dans ma tête je dépasse à peine le cap des 12 ans. Dans mon coeur je suis demeuré au stade des gens de votre espèce, Mademoiselle. Par ma sensibilité j'atteins la profondeur et le mystère obscur des nuits les plus denses.

Je suis demeuré jeune d'esprit, et je m'en vais vous le prouver ici même. D'abord vous serez punie pour votre insolence à l'égard de ma digne personne. Votre humour, en effet, n'a point trouvé grâce à mes yeux. Je ne ris pas de vos piètres amusements de gamine ébaudie. Je suis sévère, rigoureux, dur et intransigeant avec les âmes insouciantes de votre genre. Je n'aime pas les enfants, surtout lorsqu'ils sont pleins de joie, de vie, d'insouciance et de légèreté : cela perturbe l'austérité des grandes personnes. Les enfants n'ont nulle importance à mes yeux. Seuls les adultes méritent toutes les attentions du monde. Surtout lorsque à juste titre ils se croient importants, et qu'ils sont riches. L'argent seul donne du prix aux êtres.

J'aime les riches moralisateurs, toujours tristes, toujours vêtus de noirs -couleur de la dignité-, qui ne rient jamais, qui condamnent les joies de l'existence, qui sont pieux avec ostentation, et qui méditent avec pessimisme sur le monde, drapés de noir, d'ombre, et de mort. Je les aime sinistres et lugubres, ces fantômes-là, ces aimables corbeaux, ces plaisants croque morts. Vous voyez bien Mademoiselle que je suis demeuré jeune d'esprit.

140 - Le plus vil des métiers

Regardez-les avec leurs blouses blanches maculées du sang de leurs victimes, regardez-les ces bourreaux modernes, ces dépeceurs de cadavres qui se targuent de caler agréablement vos estomacs avec les fraîches dépouilles de leurs proies scientifiquement engraissées puis criminellement découpées, consciencieusement mises en parcelles, professionnellement mises en étalage avec goût, art, raffinement. Regardez-les comme ils sont vils avec leurs gros bras de tueurs, leurs muscles de forças, leurs épaisses moustaches d'ogres, leurs pognes d'assommeurs, leurs horribles instruments de charognards ! Ils sont d'autant plus vils qu'ils s'ignorent tels qu'ils sont en vérité. Je veux parler des bouchers-charcutiers : artisans hautement méprisables, quoique rarement dénigrés par la société complice.

Laissez-moi rétablir la vérité ici, au nom de la civilisation trop vite oubliée, au nom de vos viscères indolents qui digèrent avec bonne conscience le fruit des oeuvres les plus ignobles de l'humanité. La boucherie est, entre toutes les professions, la plus méprisable qui soit. Contrairement aux idées imbécilement toutes faites, il y a dans ce monde non seulement des sots métiers, mais encore des corporations infamantes, barbares, criminelles. La boucherie fait indéniablement partie de ces corps de métiers indignes des sensibilités civilisées, des esprits éclairés, des consciences évoluées.

Allez donc visiter les abattoirs, vous les carnassiers primaires au palais si délicat, vous les connaisseurs qui, à travers vos achats honnêtes chez le boucher, faites honneur à la gastronomie française, vous qui vous enorgueillissez de contribuer à développer le petit commerce de proximité et à valoriser l'artisanat de qualité de nos chers petits quartiers si conviviaux...

Allez vous rendre compte sur place de ce que l'homme peut concevoir en ignominie, au nom des plus primaires instincts dictés par son ventre. Dans les abattoirs la mise à mort industrielle et le viol sordide des dépouilles animales sont des activités comme les autres, naturelles, saines, propres, très ancrées dans les moeurs, honorables aux yeux de tous. Et d'ailleurs ces activités bouchères génèrent beaucoup d'emplois, ce qui est le meilleur argument qui soit au monde, puisque très à la mode dans notre société obsédée par l'emploi. Dans les abattoirs on s'occupe de fournir à l'humanité la moins évoluée (la plus grande partie de l'humanité donc) de quoi satisfaire ses habitudes millénaires, et par la même occasion ses pires illusions nutritionnelles.

Et tout ça sans le moindre respect pour l'animal, évidemment. Mais on ne s'attarde pas à ce genre de délicatesses dans le milieu des « viandars ». L'industrie ne connaît pas d'états d'âmes : la réalité économique avant tout. Il faut dire que la dignité est un luxe lorsque des emplois sont en jeux...

Les animaux ne sont que plus des choses dès qu'ils passent le seuil de l'une de ces « usines à viande » avec leurs hordes de primitifs hilares avides de sculpter la chair morte jetée en pâture à leurs sauvages assauts. Votre boucher est aimable avec son rire bonhomme et son sens commercial, c'est bien connu. Détrompez-vous cependant sur l'état des choses telles que vous les voyez : derrière ces civilités de bon aloi règne la plus parfaite sauvagerie. Le métier de la boucherie est pourtant très formateur pour la jeunesse et on ne s'arrête pas à des considérations aussi puériles face à l'enjeu économique que représente la profession vous diront les anciens... Je veux parler de ces pauvres brutes dégénérées ignares qui en général meurent de la cirrhose du foie ou du cancer des poumons ou plus souvent, juste retour des choses, de maladies du coeur. Charcuterie oblige.

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Qui est Raphaël Zacharie de IZARRA ?

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Oisif mélancolique, oiseau unique, ange joliment plumé, ainsi se présente l’auteur de ces lignes (une sorte de Peter Pan cruel et joyeux, mais parfois aussi un rat taciturne). Au-delà de cette façade mondaine, loin de certaines noirceurs facétieuses j’ai gardé en moi une part de très grande pureté. Dans mon coeur, un diamant indestructible d’un éclat indescriptible. Cet éclat transcendant, vous en aurez un aperçu à travers mes modestes oeuvres. Est-ce une grâce de me lire, pensez-vous? Osons le croire.