jeudi 30 octobre 2008

141 à 150 - Textes de Raphaël Zacharie de Izarra

141 - Le testament d'un amant moribond

Le tourbillon des jours qui passent s'achève. Je vais mourir. J'emporte avec moi des pierres millénaires et la pluie du ciel, le reste de mes rêves et encore la musique du vent jouant dans vos cheveux : tout l'héritage de mon passage sur Terre, le seul or qui vaille d'être emporté.

Avec vous j'ai porté le regard jusqu'aux étoiles, et j'ai frémi en approchant l'infini : à deux pas de vos salons. J'ai atteint quelque mémorable sommet, et je me suis ému au bord du vide : celui de vos conversations. Je vous ai aimée et j'en ai éprouvé quelque vertige : emporté par l'ennui.

Maintenant je vais mourir.

J'ai construit avec vous un édifice dédié autant à l'éternité qu'aux tasses de thé, l'oeuvre indestructible qui survivra à tout sur cette Terre et qui perdurera plus loin que mes os jaunis. L'Amour ma bien-aimée, l'Amour est bien la cause de tous nos soucis, de tous nos transports. J'aurais connu les vicissitudes qu'il draine ordinairement avec lui. A vos côtés j'ai appris la souffrance mondaine, les us de vos amies lettrées, les chapeaux à plumes. Et le pardon véritable.

Je vais partir. Ne pleurez pas, parce qu'au long de toutes ces années qui vous restent à vivre sans moi, mon banquier vous tiendra compagnie. Prenez soin de vous, puisque c'est vous la vivante et moi le moribond. En attendant de venir me rejoindre.

Lorsque votre tasse de thé sera définitivement refroidie.

142 - Tous égaux

Je ne suis pas différent de vous. Je mange, bois, dors comme tout un chacun. Certes je n'ingurgite pas l'eau du robinet comme le font communément les indigents. Le seul breuvage qui agrée à mon palais est le champagne de grande cuvée. J'ai besoin autant que vous de m'hydrater. Je ne m’alimente pas dans vos cantines ouvrières c'est vrai. Seulement chez mes traiteurs attitrés. Cela n’empêche pas que j'ai autant besoin que vous de quotidienne nourriture. Je ne dors pas dans vos bouges, le sort ayant fait que je loge dans un hôtel particulier. Mais si je dors sous des lambris de marbre et des lustres dorées, c'est d'un sommeil aussi paisible, aussi moelleux que le vôtre.

Les différences de prix entre nos draps, de saveurs entre nos plats, de qualité entre nos verres sont superficielles. La forme seule nous sépare, mais le fond nous unit indubitablement. Fondamentalement nous nous ressemblons.

Ha ! Vous parlerai-je de mes soucis boulevardiers ! Vous pensez sans doute que je coule des jours faciles entre les soirées chez la Marquise et les sorties au théâtre... Détrompez-vous, les problèmes me minent : la domesticité de nos jours laissant à désirer, que de peines avant de trouver la perle rare ! Entre celle qui se fait engrosser par mégarde et celle que l’on est obligé de renvoyer dès le premier mois (sans gages, heureusement), quels ennuis !

Mais je sais rester simple. Comme vous, mes préoccupations quotidiennes sont très terre à terre : la façon de positionner mon chapeau, l’heure des réceptions chez la Marquise, comment éviter les fautes de goût dans mon apparence vestimentaire... Ennuis qui peuvent m'ôter le sommeil. Mes soucis mondains sont aussi pénibles que vos soucis d'argent. Certes les tracas diffèrent, mais le coeur humain lui ne change pas. Le mien est aussi tourmenté à cause de la position de mon chapeau sur ma tête que le vôtre l’est à cause de vos fins de mois difficiles.

143 - Un bouffon bien rigide

A mes funérailles je serai le héros, une dernière fois. On me pleurera, on me chantera, on m'encensera avant de m'ensevelir. Bien coiffé, bien mis, bien droit, cravaté, impassible, je serai en représentation devant les vivants. Sage. Muet. Pas contrariant. Presque beau. Un cadavre ordinaire en somme.

Mes amis, s'il m'en reste encore assez pour meubler l'air, me regarderont avec curiosité. Comme si à leurs yeux j'eusse dû être immortel. Trop accoutumés à me voir vivant pour me croire déjà mort. Ils tiendront tous à m'offrir les services funéraires les plus beaux, les plus onéreux. Ils financeront les obsèques pour faire bonne figure devant le mort, la réputation du cadavre rejaillissant automatiquement sur eux. Merci mes amis, je n'en demandais pas tant.

Mes ennemis, eux, n'en reviendront pas non plus. Et, trop émus de me voir ainsi étendu, ces imbéciles deviendront d'un seul coup mes amis. Ils me trouveront finalement plein de qualités.

Mes femmes, mes amantes, toutes ces légitimes, ces pas légitimes, les belles, les moins belles, les inconsolables, les consolées, les dépitées, les ravies, elles seront toutes là. Certaines me maudiront encore. D'autres, avec ostentation, me chériront davantage que de mon vivant. Une ou deux brûleront d'envie de me cracher dessus en ricanant : mes favorites peut-être. Même pas le respect des morts... En voyant mes traits tirés par le voile opaque de la mort, toutes, unanimement, me trouveront une meilleure mine qu'à l'accoutumée. Et ce harem de pleureuses et de ricaneuses me mènera jusqu'au lieu du Grand Bal. Et j'emporterai avec moi les dernières larmes, les derniers crachats récoltés sur cette Terre peuplée de jalouses et de perfides.

Amis, ennemis, femmes, hommes, chiens, tous à mes funérailles m'accompagneront et me rendront un dernier hommage ou me feront un dernier outrage.

Mais moi je serai déjà trop loin pour les entendre. Je serai enfin arrivé à destination. Dans un port de lumière.

Et là je pleurerai.

144 - Réponse faite à un fat

Si vous estimez que mes textes ne sont pas à la hauteur de votre prétentieuse personne "à la sensibilité si aiguisée, si particulière", je ne vous oblige nullement à émettre vos commentaires stériles...

Taisez-vous donc quand un prince s'exprime, et laissez-le parler quand il a quelque chose à dire ! Admirez-moi, louez-moi, faites mon éloge plutôt que de me railler de la sorte, cela sera assurément plus constructif. Vous n'êtes qu'un faquin, tandis que je pourrais être votre maître. Vous n'avez pas le droit de vous exprimer en ces lieux si c'est pour conspuer ma si belle et si chère personne. Je suis le seul, me semble-t-il, a avoir le droit de porter une couronne ici. Il n'y a qu'un paon dans cette estimable cour, qu'un coq, qu'un Pégase. Et cet hôte joli, c'est moi.

Il n'y a qu'un beau plumage véritablement, et c'est le mien. C'est mon plumage. Rien que le mien. Souverainement, fatalement, définitivement.

Je n'ai de cesse d'admirer mon très évocateur et très beau nom.

145 - La dentelle et l'épée

Madame,

Comme vous avez tort de conspuer ce beau spécimen que je suis !

Vous ai-je donc autant convaincue que j'étais vexant vis-à-vis de la belle gent ? Bien au contraire, je rends hommage à celles qui par leur charme, leur beauté ou même leur touchante laideur savent si bien faire de moi cet amant fou qui vous déplaît tant aujourd'hui. Prendrait-on mes éloges pour des offenses ?

Ce sont toujours les idéalistes de l'amour qui s'en prennent à ma quiétude et font de moi un Casanova de la plume. Ma séduction ne tient guère que dans ma plume d'ailleurs. Mais abandonnerai-je donc ici mon habituel panache pour oser avec vous l'aventure de l'amour sans arme ? Je doute que l'expérience vous plaise davantage. Vous faites partie, j'en suis persuadé, de ces amantes qui dans le jeu fiévreux de la séduction réclament plutôt maints détours de plume, jolis coups d'épée, inextricables intrigues épistolaires et tortueux discours donjuanesques.

Le romanesque vous plaît, c'est évident. Les émois livresques ne font qu'augmenter la soif inextinguible de votre coeur de femme, et le fiel de l'amour, pourvu qu'il soit enrobé de dentelles soyeuse et de plume virile, ne vous est pas chose si désagréable.

146 - Procès de la laideur

Les femmes laides ne valent rien. Ce sont de ridicules amantes, de désagréables compagnes, de risibles faire-valoir. Les femmes laides ont cet inconvénient majeur par rapport aux belles femmes, c'est précisément qu'elles sont laides.

D'où la supériorité de la beauté sur la laideur chez la femme.

Si les femmes laides sont délaissées, c'est qu'elles le méritent pour la bonne raison que leur laideur est un naturel repoussoir. Ce qui fait la valeur de la beauté, c'est qu'elle répond à des lois injustes qui échappent à notre volonté égalitaire, à notre souci de nivellement, à la standardisation de notre société. Cela fonctionne exactement comme la grâce : elle peut tomber du ciel sur n'importe quelle tête. La beauté d'une femme ne dépend nullement de son bon vouloir mais des coups de dés du Ciel. Ou si on préfère, de la Nature. Et c'est très bien ainsi. Que les ennemis de l'injustice naturelle fassent donc le procès de la Nature et qu'ils rendent d'un coup de baguette magique la justice selon les références humaines... Toutes les femmes seraient belles, hélas ! Et la beauté perdrait du même coup tout ce qui fait son charme.

Ce serait la dictature de la monotonie.

Vivent les femmes laides et tant pis pour elles ! Grâce à leur laideur l'on mesure la valeur inestimable de la beauté.

P.S.

Que les femmes laides se rassurent, j'ai par ailleurs maintes fois fait l'éloge de leur laideur.


147 - Le passage du plombier : une affaire de muses

J'aime la poésie et ses charmants mystères. La poésie, la vraie : tout ce qui n'est pas livresque, sophistiqué, littéraire. La poésie, l'authentique : tout ce qui est grossier, banal, prosaïque.

La poésie digne de ce nom n'est pas logée dans les étoiles ni dans le coeur des amants, mais tout simplement dans la fange du caniveau ou dans l'estafette du plombier, entre clé de 12 et tuyauteries. Les imbéciles l'imaginent siégeant dans les nues.

Chanter l'amour, béer à la Lune, quoi de plus ennuyeux ? Que de coeurs vulgaires sensibles à ces niaiseries ! Mais rêver au bord d'une rigole fangeuse, méditer à propos du passage du plombier... Quelle affaire ! Les âmes esthètes sont seules capables d'accéder à cette émotion.

La poésie est un oiseau rare qui ne se laisse pas mettre en cage.

Je fais partie de cette belle espèce capable de verser une larme au passage du plombier ou devant les écoulements nauséeux du trottoir.

148 - Homère, cet indigeste compilateur de vers

Homère est l'auteur d'une oeuvre auguste, fondatrice, universelle. Il a jeté les bases de notre culture, il incarne les racines de notre littérature. Cependant, prises dans leur ensemble, les oeuvres de Homère sont ennuyeuses à mourir.

Homère est donc un mauvais auteur. Célèbre depuis deux mille ans et reconnu certes, mais fondamentalement mauvais. Qui a lu jusqu'au bout, dans ses moindres détails et avec fébrilité l'Iliade, l'Odyssée ?

149 - Lettre envoyée aux proxénètes de la culture

Monsieur le Ministre,

La pollution touristique à Montmartre a atteint des proportions insupportables. L'Etat cupide et démagogique que vous avez l'honneur de servir est en train de prostituer la France aux touristes vulgaires, laids, dégénérés et majoritairement incultes.

Ces idiots de touristes bariolés et armés de caméscopes, ces mangeurs de glaces industrielles vêtus de shorts, enfin ces pauvres hères issus de la civilisation "sac banane" sont en train de dénaturer définitivement Montmartre, et cela avec l'assentiment des proxénètes de la culture de votre espèce.

Aujourd'hui il semble que le Ministère de la Culture n'est plus l'organe essentiel de la promotion de nos culture et art de vivre, mais plutôt le centre de gestion infâme d'un bordel culturel pour touristes. Avec l'invasion massive de ces clients de la France une nouvelle pornographie est née.

J'ose dénoncer ici les maquereaux oeuvrant dans votre ministère. Ils vendent sans scrupule la digne et belle France à une humanité déchue et ventripotente en mal d'authenticité frelatée : aux heures de pointes touristiques Montmartre est devenu le lieu le plus laid de la capitale.

Là, on vend aux troupeaux humains venus d'ailleurs (et au prix fort encore) de la France en plastique, de véritables colifichets « made in China », de l'authentique cuisine « qualité touristique ». Montmartre est la grande prostituée de Paris. Souillé, piétiné, envahi par des hordes d'imbéciles moyens, Montmartre n'est plus qu'un vulgaire supermarché d'une France de pacotille et de rapins. Là-haut sur la Butte la France a été mise sur le trottoir, à la merci de clients dénués de goût mais pleins de devises.

Et les collaborateurs de ce tourisme bas de gamme siégeant au Ministère de la Culture se félicitent de cette invasion : la France se vend, la Putain tricolore s'enrichit. Soyez loués vous les proxénètes du Ministère de la Culture. Grâce à vous « Montmartre la putain » assure des emplois. Elle rapporte un maximum d'argent à ses maquereaux. Montmartre fait du chiffre.

Et c'est la raison pour laquelle je vous écris cette lettre.

150 - Monsieur travaille !

Comment, vous vous abaissez à travailler, vous mon plus cher ami ? Eh bien ! Vous perdez d'un coup toute l'estime que j'avais pour vous Monsieur...

Ainsi vous vous adonnez à ces espèces d'occupations viles et méprisables qui consistent à besogner de ses mains comme un vulgaire manuel ? Vous n'avez donc pas, comme tout homme de bien qui se respecte, de valets, de bonniches pour faire à votre place les besognes et corvées manuelles ?

A partir de maintenant vous n'êtes plus mon ami Monsieur. Je ne vous connais plus. Vous me faites trop honte. Songez-vous donc à ma chère réputation ? Me faire l'ami d'un manuel... Quelle ignominie !

Je regrette infiniment de vous avoir eu pour ami pendant un temps Monsieur. Si j'avais su que vous vous adonniez au labeur et que vous n'aviez pas de domesticité à votre service il est bien évident que jamais je n'aurais contracté cette regrettable amitié avec vous... Déjà que vous étiez dépourvu de particule... J'ai daigné vous avoir pour ami du bout des doigts, avec un certain mépris de circonstance parce que vous n'aviez point de particule. Mais à présent que je sais que vous travaillez, tout est fini entre nous Monsieur.

Définitivement, irrémédiablement, fatalement.

Vous avez mon plus profond mépris, Monsieur le laborieux. Je vous crache au visage Monsieur le manuel. Je vous ignore, Monsieur le gueux.

Adieu, Monsieur.

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Qui est Raphaël Zacharie de IZARRA ?

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Oisif mélancolique, oiseau unique, ange joliment plumé, ainsi se présente l’auteur de ces lignes (une sorte de Peter Pan cruel et joyeux, mais parfois aussi un rat taciturne). Au-delà de cette façade mondaine, loin de certaines noirceurs facétieuses j’ai gardé en moi une part de très grande pureté. Dans mon coeur, un diamant indestructible d’un éclat indescriptible. Cet éclat transcendant, vous en aurez un aperçu à travers mes modestes oeuvres. Est-ce une grâce de me lire, pensez-vous? Osons le croire.