jeudi 30 octobre 2008

111 à 120 - Textes de Raphaël Zacharie de Izarra

111 - L'amant des laides

Je suis le refuge des esseulées, le souffle des vies en deuil, le feu des âmes refroidies, l'asile des délaissées, l'espoir des affligées.

J'apporte la flamme qui d'habitude n'échoit jamais aux humbles. J'élis les non-élues, j'aime les mal-aimées. Je suis le chantre des éternelles éconduites, des recluses, des cloîtrées, des timides, des égarées, des invisibles, enfin de toutes ces misérables enfants de la solitude, de ces créatures inéligibles au trône de la beauté.

Je suis l'étoile fidèle, l'épée loyale, la prière inextinguible. Je règne dans le coeur des désespérées de l'amour.

Je suis l'Amant des laides, agenouillé à leur chevet de douleur.

112 - La Lune

Pour vous rejoindre, depuis si longtemps que j'en avais conçu l'immortel projet, je me hâterai sans regret, ivre de vous, insoucieux du futur, confiant dans votre pâle éclat, attentif à votre regard paisible, envoûté par votre sourire triste et énigmatique.

Vous êtes une lyre éternelle accrochée à la nuit, et avant que je ne sois né vous chantiez depuis toujours avec sérénité au-dessus des nues agitées. Je n'étais pas encore en ce monde, et vous le berciez de vos soupirs lents et infinis. Dès que je vous ai vue, à l'éveil de ma jeune âme, j'ai eu l'intuition d'être né par et pour vous.

Oui, depuis ce temps mythique de mon enfance où, imprégné de votre mystère, j'allais m'évader dans votre chevelure phosphorescente, je rêve de vous. Avec votre insondable mélancolie, vous semblez régner sur mon destin. C'est vers vous que je désire monter. C'est du haut de votre sommet que je veux contempler les êtres et les choses contenus dans l'Univers.

Au jour de ma mort vous diffuserez vos caressants reflets sur mon visage éteint. Vous êtes onirique, et j'aurai l'éternité devant moi pour fouler votre sol de poussière et d'immuable écume.

113 - Les visiteurs

Qui se doute de quelque chose à Warloy-Baillon ?

Un petit village comme tant d'autres. La nuit, la calme cité devient pourtant le théâtre de phénomènes mystérieux...

Le village est hanté.

Tandis que les habitants sont enchaînés à l'aile de Morphée, des êtres s'ébattent à leur insu. Au-dessus des toits, aux alentours des bois, au bord des allées, tout près des chemins qui entourent les jardins, jusqu'à proximité des habitations, partout ils se glissent.

Lorsque la Lune paraît, plusieurs fois l'an le village se peuple d'hôtes fabuleux, de personnages merveilleux, d'êtres féeriques. En cet endroit précis du monde et de la nuit se donnent rendez-vous pour des festivités irréelles les chimères illustres d'un monde révolu : le peuple de l'Olympe.

On douterait d'un tel prodige dans des lieux si humbles... Je fus témoin de ce mystère cependant : alors que je contemplais la Lune tout en errant sur les chemins autour du village, je fus invité par la prestigieuse société mythologique à m'associer à ses festivités nocturnes. Je me suis mêlé à cette assemblée fantastique aux allures de légendes pour qui Warloy-Baillon est le lieu béni pour ses réunions de fêtes !

Je n'avais jamais vu pareille assistance au village : rien que des créatures éthérées, linéales, aux traits hellènes et d'une prestance très digne qui m'impressionnait beaucoup. Tout ce petit monde dansait, riait, volait, planait autour de moi, en s'éparpillant progressivement à travers les chemins, les champs, les bois et les nues. Quelques-unes de ces augustes et brillantes personnes jouaient de la musique, mais pas trop fort, sauf au fond des bois, pour ne pas alerter les dormeurs du village.

Mais que fêtaient donc ces étranges noctambules qui, de toutes parts, encerclaient le bourg plongé dans le sommeil ? Qu'est-ce qui, à Warloy-Baillon, pouvait attirer une troupe céleste si estimable ?

Ils fêtaient simplement le charme bucolique des lieux. Pour eux Warloy-Baillon est un exemple d'humble beauté, simple, sans prétention.

Beauté ordinaire mais formelle des lignes du paysage, équilibre banal des formes savamment ordonnées par la nature. Une grâce champêtre tellement coutumière aux habitants du village qu'ils ne la voient plus.

J'étais heureux de constater que Warloy-Baillon pouvait susciter un tel enthousiasme de la part de ces êtres sortis de je ne sais où, ravi de découvrir chez eux cette capacité d'émerveillement, comblé de savoir qu'à travers ce sol crayeux, ces sentiers délaissés, négligés, ces êtres avaient trouvé une espèce d'éden temporel digne de leurs réjouissances : ils oubliaient le reste du monde, la Grèce, l'Olympe, le ciel et Homère, au moins quelques nuits par an, pour savourer les terres mélancoliques, enchanteresses de Warloy-Baillon.

Ils ne parlaient presque pas. Je n'entendais que leur musique au loin qui se mêlait au vent, s'insinuait dans les rues du village, jusqu'à la porte de chaque demeure, au seuil de chaque foyer : la brise du Nord portait le chant de leurs flûtes.

La musique qu'ils jouaient autour du village, c'était une façon paisible de ceindre le monde, une manière de le considérer sans heurt, globalement, avec un sourire au coeur, car à Warloy-Baillon tout n'est que courbes mesurées et angles sans excès. Rien de particulier ne retient l'attention au premier abord... Ses charmes sont bien cachés, et les profanes ne s'attardent pas à Warloy-Baillon.

Seuls ces êtres singuliers sont véritablement au centre de leur monde à Warloy-Baillon. Le paysage entier formant, selon eux, une unité dont ils font intimement partie, entre moulin et clocher, monts et bois, plaine et sentiers.

Monsieur le Maire, ces toits sur lesquels vous veillez, ces allées et avenues dont vous avez le soin, ces places coquettes qui font honneur à votre nom, cette localité enfin qui respire sous votre autorité, c'est le séjour des dieux.

Tous à Warloy-Baillon dormez à poings fermés : sur vos nuits veillent d'inoffensifs génies, des anges en quelque sorte.

114 - Debout les villageois !

Il a plu des obus certains jours autour de Warloy-Baillon. Aujourd'hui on s'ennuie à mourir dans cette petite cité. Pourtant la « soporifique couveuse » est riche de sites et d'événements. En effet, Warloy est entouré d'authentiques Blockhaus, de champs encore « minés, plombés », de quelques jolis bois et surtout de riants chemins de craie. Mais rien n'y fait. Plongé dans sa progressive torpeur, sa coutumière grisaille et ses provinciales habitudes, le village se meurt.

Le sifflement des obus est bien loin aujourd'hui. Les trépassés se reposent. Les survivants de la « 14 » sont partis. Il n'y a plus rien à dire à présent, puisque plus personne ne raconte, puisque les habitants de Warloy ne causent plus qu'avec leur télévision le soir, puisque le village est mort d'être éternel village.

A Warloy-Baillon aucun train ne passe, nul oiseau venu d'ailleurs ne vient se poser, rien ne vient distraire la morosité ambiante. Warloy-Baillon est une terre sans plus d'histoires. Dans cette modeste paroisse comme dans tant d'autres en cette fin de siècle, les vivants semblent dormir sous les toits d'ardoise d'un même sommeil que les morts du cimetière dans leur lit de marbre. Et à présent on ne voit plus que des fantômes dans les rues de Warloy-Baillon. Plus rien ne peut réveiller ses habitants.

L'ennemi n'est plus le traditionnel Allemand de la « 14 », mais le silence et la boue. On bâille ferme à Warloy-Baillon.

Warloy s'enfonce, s'enlise, se fige : il ne s'y passe pas grand-chose. Les cloches de l'antique église semblent sonner les heures pour rien, pour personne : tout demeure pétrifié au son clair de l'airain. Hommes et bêtes. Même les anges s'ennuient là-bas, et le dimanche à l'heure de la messe l'église est désertée.

La commune est une tombe. Muette. Grise. Pesante. Mortelle.

Bienvenue à « Terminus-City » !

115 - Le cygne

Tout à l'heure au crépuscule, traînant mon ennui d'un pas nonchalant sur les bords de Marne, j'ai croisé un cygne sur mon chemin. Les effluves de l'automne charmaient tout mon être. Douceur et tristesse se mêlaient à merveille dans ce décor bucolique.

Il semblait errer sur l'onde mélancolique. Magnifique et seul. Muet et tragique. Je m'arrêtai, contemplatif.

Mais aussitôt l'élégiaque créature prit son envol. Déployant à l'infini ses ailes majestueuses, je la vis d'abord courir sur l'eau, puis s'élever au-dessus des flots. Rasant l'onde paisible de son aile géante, l'animal s'éloignait à vive allure.

C'est alors que, voyant s'élever puis disparaître dans le lointain l'oiseau superbe, l'évidence s'imposa à moi : cet élu des poètes, ce prince des étangs, cet hôte des palais n'était peut-être finalement rien d'autre qu'un messager du Ciel. Un de ces envoyés célestes qui emportent avec eux l'âme des défunts... Le cygne a disparu de ma vue, il s'est confondu avec l'horizon. Mais du bout de son aile blanche je crois qu'il m'a fait un signe, et j'ai vu là comme un ultime salut qui m'était destiné. Était-ce de la part de celui à qui je pense ? Peut-être. A moins que je n'aie encore rêvé, divagué pour un simple reflet dans l'eau...

Plus tard en rebroussant chemin, songeur, je l'ai entendu chanter dans les nues.

Adieu, vous qui avez quitté ce monde.

116 - Autopsie de l'imbécillité

Mon but n'est nullement de dénoncer quoi que ce soit. Cela n'est pas mon rôle de dénoncer les marées noires, pas plus que de jouer les Mère Thérésa ou de défendre la forêt amazonienne... Je laisse ces combats médiatiques aux faux héros de notre époque, je veux parler de ces citoyens moyens, français moyens, consciences moyennes qui se croient investis d'une mission écologico-humanitaire, parce que c'est à la mode, comme il fut à la mode à une autre époque de faire la charité, d'avoir pitié des déshérités ou de plaindre les orphelins (de nos jours la pitié est perçue comme une offense, un sentiment dégradant par l'indigent, alors qu'elle était une vertu jusqu'au XIXème siècle).

Ces chevaliers des petites causes sont victimes d'un conditionnement télévisuel stupide : la télévision leur demande de courir dix kilomètres pour aider des enfants victimes de maladies génétiques, et ces imbéciles courent sans peur du ridicule avec leurs accoutrements sportifs grotesques sous l'oeil mielleux des caméras... Quelle impudeur, quelle manque de conscience ! Comme si le fait de s'agiter avec hilarité et optimisme devant les caméras pouvait aider ces enfants à guérir. Quel cynisme ! Et personne pour dénoncer ces inepties puériles indignes de gens responsables !

La télévision débite ses saintes vérités à des millions d'abrutis prêts à endosser la première armure qu'on leur désignera, et par milliers ils sauteront d'un pont avec un élastique aux pieds pour soutenir telle cause formatée selon les critères les plus télévisuels ou bien s'engageront dans la quête de Graal sirupeux, fabriqués de toutes pièces par des médias adeptes d'une sensiblerie aux vertus toutes mercantiles.

De nos jours se battre pour sauver la forêt amazonienne est devenu un gage de grande qualité morale... Se donner corps et âme pour le salut de ces parcelles de lointaines terres perdues, fangeuses, inhospitalières et il faut bien l'avouer sans intérêt pour des gens civilisés qui se respectent, est très valorisant pour les coeurs médiocres. De même, se battre pour que des pots de yaourt ou des paquets de lessive portent les "armoiries" de cette "philosophie verte" prouve la déchéance de l'homme occidental contemporain. Il y en a qui seraient prêts à risquer leur vie ou même à s'entretuer pour un arbre, pour quelques moustiques, pour un panda. Voilà : c'est la mode, il faut avoir l'esprit écologique, il faut soutenir José Bové, il faut être adepte de cette religion nouvelle. Il faut aspirer à une pseudo propreté physique, alimentaire, et accessoirement, faire le procès des bourgeois, pour être dans le courant de pensée majoritaire. C'est le nouveau culte, ça s'appelle l'écologie, ça s'appelle l'adhésion au téléthon, ça s'appelle le José-bovéisme.

Il faut également admirer les sauvages de la forêt amazonienne, comme si ces va-nu-pieds, ces porteurs de sarbacanes, ces mangeurs d'hommes parfois, ces dégénérés, ces drogués des bois avaient des leçons de civilisation à nous donner ! Il y a des prêtres de ces causes à la mode, très télégéniques, comme par exemple monsieur Nicolas Hulot, pour débiter ce genre d'inepties. Et par millions les hommes que l'on dit pourtant intelligents, civilisés, éduqués, adhèrent de manière irréfléchie à cette nouvelle religion des bois répandue par la "sainte télévision"... Et on les voit débarquer par milliers dans la forêt amazonienne l'été suivant, gourdes et sacs banane à la ceinture. Dieu ! Qu'ils sont laids avec leurs accoutrements bariolés ! Tous victimes du syndrome de "L'IMBECILLITE CHRONIQUE". C'est la dernière maladie de l'homme contemporain.

Mais où sont les vrais chevaliers dignes de ce nom ?

117 - Aux craintifs, aux faibles, aux esclaves

Sachez, au risque de vous choquer et de vous déplaire une fois encore, que j'estime être un esprit supérieur. Non bien évidemment au sens intellectuel du terme, mais sur le plan de la pensée, de la lucidité, de la liberté. Je plane au-dessus des dogmes qui limitent tant la plupart de mes semblables ayant perdu leur coeur d'enfant. Le coeur a aussi son intelligence.

Je ne crains ni les avertissements des hommes de lois, ni les sermons moralisateurs du Pape, ni Dieu lui-même. Craindre Dieu ? Qu'aurais-je donc à craindre de la part de celui qui a eu l'excellente idée et l'infinie bonté de me créer ? A partir du moment où je suis en harmonie avec ma conscience, comment puis-je déplaire à celui qui a le don de donner la vie et qui est si attaché à la notion du libre arbitre chez ses créatures humaines ? Je suis libre, heureux, reconnaissant envers ce Dieu qui m'a créé. Où est le péché ?

Les cérémonies religieuses m'ont toujours ennuyé. Il faut voir tous les enfants du monde bâiller lors de ces interminables broutages publics ! Comme eux, je bâille ferme dans la bergerie. Oui, je pense que les rites religieux populaires ne sont que d'austères singeries pour adultes au regard de l'intelligence, aussi bien chez les Juifs, chez les Chrétiens que chez les Musulmans. Je hais l'esprit populaire, la sensibilité vulgaire de la masse, du peuple en général. Je ne méprise pas les hommes pour autant, je méprise simplement leurs imperfections.

Je respecte néanmoins les lieux de cultes. Le respect de ce que j'estime être sans grande valeur importe tout de même pour moi : c'est juste une question d'intelligence sociale, de coeur. J'ai eu une éducation chrétienne, on m'a mis dans une école présidée par des curés. Cependant on n'a pas réussi à faire de moi un abruti moyen adepte de la moyenne, de toutes les moyennes. J'ai pris l'exquise et très chrétienne liberté de mépriser tout ce qui n'arrive pas à la hauteur de mon front. Est-ce ma faute à moi si j'ai de semblables exigences ? Dieu, qui est un esprit fort avisé, m'a fait le don d'un coeur de valeur, pourquoi devrais-je donc m'abaisser à desservir sa cause ? Au nom de quelle chimérique vertu devrais-je ne point rendre compte de ce coeur d'exception auprès de mes pauvres frères défavorisés ?

Je revendique donc devant mes semblables craintifs, faibles et imparfaits (sans orgueil aucun mais avec une assurance toute biblique) la qualité de ma pensée, de mon tempérament, de mon coeur.

En effet, j'ai un tempérament de prince, de roi, de chevalier. Et je laisse les affaires communes de la terre aux concierges du monde (les prêtres, les papes et les théoriciens de la religion), aux balayeurs de rues (les masses endormies), aux serviteurs pleins de zèle mais dénués de véritable conscience et de poésie (les obsédés des dogmes).

118 - Eloge de la civilisation

Voici une lettre envoyée à une journaliste qui avait écrit un article sur les sauvages d'Amazonie.

Madame,

Vous êtes l’auteur d’un article qui m’a réellement fâché. Il s’agit du reportage sur les Papous, filmés par l’équipe de Nicolas Hulot. Le sujet est trop passionnant pour que je ne réagisse pas. Dans votre article (« France-Soir » du mercredi 27 décembre 2000, page 28) ce sujet est traité de manière outrageusement convenue, et c’est une réelle et inadmissible offense à la Civilisation que de faire implicitement l’éloge d’une véritable forme de sauvagerie encore « en vigueur » de nos jours… Etes-vous une authentique journaliste digne de ce nom ou bien un instrument d’abrutissement du public, enjolivant l’infâme réalité pour mieux plaire à votre lectorat, complice dans la bêtise ?

En effet, vous écrivez en conclusion de votre article :

«Ce qui peut nous amener à penser que le sauvage n’est pas forcément celui que l’on croit…»

Dernièrement j’ai vu dans une émission télévisée un reportage sur les indigènes d’Amazonie. Le sujet du reportage traitait du recul de la forêt amazonienne face à l’avancée inexorable de la civilisation, et de fait, du déclin d’une poignée de quelconques indigènes (je ne me souviens pas du nom de cette primitive peuplade). Le reportage, comme on pouvait s’y attendre, était loin d’être impartial, le commentateur prenant résolument le parti des indigènes menacés par la civilisation.

A un moment du reportage le discours était formaté selon les strictes normes occidentales en vigueur aujourd’hui : défense sotte et aveugle de la minorité. Parce que c’est la minorité. L’article dont vous êtes l’auteur est de la même veine : une bien piètre éloquence pour la défense d’une cause qui n’en vaut vraiment pas la peine…

Voilà de quoi il était notamment question dans ce reportage télévisé : le commentateur déplorait que la civilisation ait transformé ces guerriers légendaires en paisibles agriculteurs. Là, je ne comprends plus rien… N’est-ce pas justement cela le progrès ? Ferait-on aujourd’hui l’éloge de la guerre lorsque la cause est télégénique (comme dans le reportage réalisé par l’équipe de Nicolas Hulot), « écologique », bref, lorsque la cause est à la mode ? Nous fustigeons la guerre chez nous, mais chez ces sauvages elle serait jolie, pittoresque, et surtout «culturelle» à nos yeux ? On traite ces hommes comme on traiterait une espèce animale en voie de disparition dans un parc naturel : on voudrait que ces indigènes continuent à s’entretuer dans leur jungle selon leurs traditions millénaires, au nom de la préservation du patrimoine ethnique humain, au nom du respect de leurs mœurs de peuplades primitives… Comme lorsqu’on conserve des pièces rares dans un musée. Mais là ce sont des êtres humains qui remplacent les vieilleries. En fait on en fait une espèce de canards sauvages labellisée « espèce protégée ». Parce qu’aujourd’hui la mode est au naturel, aux produits « bio ».

De nos jours il faut se faire le défenseur de ces espèces de minorités en voix de déclin, au détriment de la souveraine majorité qui ne cesse d’étendre son influence sur celles-ci, et pour être bien vu, pour être à la mode, il faut même être contre la civilisation, la nôtre je veux dire ! Alors que l’on ne cesse de chanter, de glorifier, d’encenser dès l’école primaire les civilisations romaines, grecques, étrusques, etc. (qui ont tant apporté aux peuplades primitives d’Europe, dont en Gaule) il faudrait dénigrer notre propre civilisation qui est pourtant le beau fruit issu de ces vergers antiques… Et tout ça parce que nous apportons chez ces indigènes primitifs la même chose qu’ont apportée les Grecs chez les Gaulois : la Civilisation (je veux parler ici bien entendu de la civilisation digne de ce nom). Si on continue ce discours crétinisant envers ces va-nu-pieds des forêts d’Amazonie ou de Nouvelle Guinée, dans mille ans ces pauvres dégénérés en seront au même point. Ce seront des espèces de bêtes en comparaison avec les représentants du fleuron des civilisations d’alors. Nul aujourd’hui n’ose plus appeler un chat un chat, et affirmer publiquement que les sauvages sont précisément ceux qui s’ingénient à vivre dans les bois… Il est très à la mode dans notre société « télévisuelle », consensuelle et pour ainsi dire dévoyée par ce journalisme de masse crétinisant que vous représentez, de déclarer que les sauvages c’est nous, et pas eux, pas ces « coureurs des bois »… A croire que l’idéal du progrès est de se manger entre ennemis, et même parfois entre amis, comme le font ces « sauvages modèles » que vous défendez si bien, et qui auraient su préserver leur prétendue vertu originelle presque biblique…

Comment ose-t-on dire que la civilisation a apporté le déclin à ces barbares ? On voudrait, au nom du respect de leurs piètres traditions d’hommes des bois, les maintenir dans leurs obscures superstitions. Où est le progrès là-dedans ? Nous apportons la lumière du savoir, de la connaissance, de la science et de l’intelligence, des arts, nous les hommes civilisés. Et le contact avec les civilisations moins évoluées est une bénédiction pour ces dernières, et non une calamité comme on voudrait nous le faire croire. D’un seul coup nous leur faisons faire un bond en avant de plusieurs milliers d’années à ces sauvages ! Où est le mal ? C’est cela précisément le progrès. Les civilisations sont toutes destinées à progresser. Et ce n’est pas en voulant maintenir les hommes dans leur ignorance que l’on fait un acte de philanthropie… Bien au contraire. Imaginez que les peuples voisins de la gaule n’auraient jamais voulu avoir de contact avec nous, au nom de ce même respect déplacé que nos contemporains écologistes éprouvent envers ces peuplades primitives : aujourd’hui nous en serions peut-être encore en train de traîner dans les bois comme des pouilleux vêtus de peaux de lapins. Et vive l’homme qui a su, comme vous l’écrivez dans votre article,
« conserver une proximité physique et spirituelle avec la nature » !

Je ne suis pas ennemi de la civilisation, vous l’aurez compris. On ne peut pas gêner l’existence de millions de gens civilisés à cause d’une poignée d’attardés emplumés. La forêt amazonienne appartient aux vainqueurs. Les terres vierges de la Nouvelle-Guinée appartiennent aux vrais dominants, et non pas aux hommes des bois, vagues créatures humaines mi-dégénérées, mi-déchues. Ces terres appartiennent aux hommes policés, instruits, édifiés selon les saines lumières de l’Intelligence, et non pas aux esprits et autres improbables divinités inventées par des idolâtres mal chaussés. Nous marchons sur la Lune pendant que ces indigènes courent après du gibier, la sarbacane aux lèvres. Pas pour le plaisir, comme nos chasseurs le font, non : pour survivre. Ils en sont encore à ce stade. Le plaisir est un signe de civilisation qui nous éloigne de l’état d’animalité. Leur esprit ainsi mobilisé par la nécessité la plus primaire n’a aucune chance d’évoluer si on ne les aide pas.

Cessons d’admirer ces piètres semblables encore à l’âge de pierre et civilisons-les une bonne fois pour toutes ! Arrêtons de faire l’éloge du « bio » à outrance. La civilisation, la culture, c’est ce qui reste à l’homme une fois qu’il s’est affranchi de la sauvagerie.

Il aurait été si intelligent, si évolué, si civilisé, si opportunément journalistique dans votre article de vous faire le défenseur de la Civilisation à travers un tel sujet, quitte à choquer votre lectorat, ces contemporains convaincus eux aussi de n’être que des sauvages sachant lire « France-Soir », tout juste bons à s’extasier devant leurs semblables de Nouvelle-Guinée. Papous pas si sauvages que ça selon les saints préjugés en vigueur dans notre société, mais cependant vêtus de plumes et allant quérir leur pitance la sarbacane à la main… Au lieu de cela vous ne faites que le procès (certaines phrases de votre article sont révélatrices) de cette civilisation qui vous a donné les moyens d’être bien chaussée, et défendez ce qui est fondamentalement indéfendable : la sauvagerie dans son expression la plus triviale.

Je vous offre l’occasion, Madame, de défendre votre point de vue qui est, il faut l’avouer, philosophiquement très choquant. A moins qu’en guise de réponse à ma lettre, vous estimant à si peu digne de vertu, si dénaturée, si éloignée de cette « proximité physique et spirituelle avec la nature », si peu civilisée enfin, vous ne préfériez donner la parole à un de ces indigènes incultes, analphabètes, ignorant et superstitieux dont vous semblez faire si grand cas dans votre article…

Avec l’espoir de ne vous avoir point véritablement offensée à travers mes propos parfois un peu virulents, et de vous avoir plus salutairement instruite sur quelques évidences de ce monde si souvent et si facilement dénigrées, je vous prie de croire, Madame, à ma parfaite considération.

119 - Démocratisation sauvage de la culture : de la confiture aux cochons

Certains philanthropes trop bien intentionnés aimeraient démocratiser le sacré, le mettre à la portée de l'homme profane. Quel gâchis ! L'Art est perverti lorsqu'il est offert en pâture au peuple. Ce dernier est incapable d'accéder à la Beauté. Par immaturité, parce qu'il a une sensibilité vulgaire, parce que ses goûts sont grossiers, parce qu'il n'a pas reçu d'initiation. Le peuple se laisse volontiers abrutir par les films commerciaux hollywoodiens, il en redemande même, alors qu'il méprisera royalement les chefs-d'oeuvre cinématographiques pleins de poésie, de charme et de délicatesse. En matière de cinéma, le peuple est avide d'effets spéciaux, de scènes spectaculaires, d'explosions, de violence, etc. (normes des films américains actuels), et demeure définitivement hermétique aux évocations plus poétiques.

Il en est de même en musique : notre époque est sous le règne de la musique commerciale abrutissante. Nous assistons au triomphe de la "musique fast-food", vendues principalement à une jeunesse écervelée. Les radios généralistes (Europe 1, RTL, RMC, etc...) éduquent le goût musical du peuple en abaissant systématiquement le niveau.

Aussi je revendique le droit à l'élitisme culturel, le droit au refus de la médiocrité, le droit au combat contre l'impérialisme insidieux des radios généralistes. Ces dernières sécrètent un lait insipide et ramollissant qui abreuve les masses indolentes. Je ne veux pas ressembler au peuple de veaux tétant quotidiennement ces antennes. Intarissables fontaines prodiguant aux bovins leurs doses d'inepties musicales, de vains propos ménagers... Je ne veux pas être nourri aux granulés industriels d'une culture américanisée, aseptisée. Je ne veux pas être un produit issu des usines à penser. Je rejette totalement cette culture de masse induite, encouragée par la publicité la plus outrancière. Je n'adhère pas aux discours parfaitement irresponsables quant aux vertus de la tolérance vis-à-vis du prochain, qui serait lui aussi un parfait abruti élevé en batterie.

Non, je ne suis pas tolérant vis-à-vis de ces veaux que sont la plupart de mes semblables. De Gaulle n'avait pas tort d'affirmer que les français sont des veaux ! Imaginez aujourd'hui Chirac assénant pareille vérité devant les caméras ! Oser dire que le peuple français est un troupeau de veaux est un discours qui ne passerait plus de nos jours. Parmi ceux qui se disent gaullistes aujourd'hui, je suis persuadé qu'aucun n'aurait le courage de dire une vérité aussi impopulaire. On taxerait cet homme d'intolérant, de fasciste...

De Gaulle pouvait se permettre pareille liberté : à l'époque le peuple était peut-être moins abruti que maintenant. En ce temps la télévision ne prenait pas la parole, elle n'était pas l'invitée principale de la famille le soir. Les gens n'étaient pas encore tous amollis et acceptaient qu'on leur dise certaines vérités. Ils n'étaient par encore élevés en batterie. Néanmoins les français étaient quand même des veaux selon les critères gaullistes de l’époque.

Je suis sans doute un petit fasciste dans mon comportement aux yeux de certains. Mais je préfère cela plutôt que ressembler à l'homme de la rue fier d'être un anonyme et de n'avoir aucun préjugé ni aucun sentiment subversif sur le monde qui l'entoure, soucieux de paraître aimable, c'est-à-dire fade, lisse, paisible, bovin jusqu'au bout, envers et contre tout.

Je suis de ceux qui veulent réserver le sacré aux initiés. D'ailleurs le peuple n'a rien à faire de ces histoires sacrées. Tout ce qui l'intéresse, c'est de vivre à l'horizontale : toucher un salaire, bénéficier d'une bonne retraite, être un bon assuré social, jouir des biens industriels mis à sa disposition. Le peuple, par sa dégénérescence culturelle, ne mérite pas d'être mis dans le secret des dieux.

Je ne crois pas à la démocratisation du sacré. Tant que la télévision, les radios et les journaux feront bêler les foules, ces dernières n’auront pas accès à ces chères étoiles qui brillent au-dessus de la tête des élus.

120 - Osez penser !

Sans culture, sans réflexion, l'homme n'est rien. Sans instruction, sans outils pour penser, sans références culturelles, sans structure valable pour l'esprit, sans apprentissage de la pensée, sans éducation du goût, sans élévation de la pensée, l'individu est un parfait abruti tout juste capable d'écouter du rap, d'ânonner "Nique ta mère", et incompétent pour savourer dignement les belles choses de l'existence. La culture et la réflexion donnent des ailes, libèrent des chaînes de l'abrutissement collectif. Je refuse de me laisser manipuler par le discours ambiant nivelé vers le bas.

Ainsi la "sous-pensée" arrive par le téléthon, l'écologie, la lutte contre la pollution, la défense des lointains animaux, la sensibilité populaire vis-à-vis des malheurs les plus médiatiques, les plus photogéniques, la grande ruée vers l'éclipse, les festivités de l'an 2000... Tout cela c'est de l'abrutissement total de foules. Je ne dis pas qu'il faut s'exclure des événements notables de la société ni ne pas s'engager dans quelque combat digne de ce nom, là n'est pas le propos. Ce que je reproche à ces chevaliers du dimanche, à ces épiciers-héros, c'est la manière d'arriver à ces fins, même si elles sont louables en soi : en se laissant abuser l'esprit, manipuler le mental, conduire comme des moutons dans la bergerie cotonneuse de la pensée molle.

J'ai en moi quelque chose qui fait cruellement défaut à la plupart de mes semblables : le sens aigu de la critique. Je ne suis pas un esprit qui se laisse aisément convaincre et conditionner par des petites vérités scolaires. Je ne suis certes pas facile à vivre. Je ne suis effectivement pas n'importe qui, comme certains peuvent le constater avec douleur. Non, je ne suis pas un esprit plein de guimauve et de tiédeur. Je ne me suis jamais laissé abrutir par le discours ambiant de cette société. Mes contemporains sont en général assez mous, inconsistants, bovins jusqu'à l'extrême. Je ne suis pas un veau de français moyens.

Sachez que je ne fais pas partie de ces masses éduquées par les médias et la télévision et nourries aux roses granulés de la sensibilité maximale et de la pensée minimale.

Dans cette société je ne veux pas être un loup comme certains, ni un renard comme d'autres, ni un mouton comme la majorité. Je veux seulement être un oiseau, un aigle, et voler au-dessus de la mêlée.

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Qui est Raphaël Zacharie de IZARRA ?

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Oisif mélancolique, oiseau unique, ange joliment plumé, ainsi se présente l’auteur de ces lignes (une sorte de Peter Pan cruel et joyeux, mais parfois aussi un rat taciturne). Au-delà de cette façade mondaine, loin de certaines noirceurs facétieuses j’ai gardé en moi une part de très grande pureté. Dans mon coeur, un diamant indestructible d’un éclat indescriptible. Cet éclat transcendant, vous en aurez un aperçu à travers mes modestes oeuvres. Est-ce une grâce de me lire, pensez-vous? Osons le croire.