jeudi 30 octobre 2008

21 à 30 - Textes de Raphaël Zacharie de Izarra

21 - Lettre aux employeurs ou la gratuité de la vie

Lettre envoyée à des employeurs consciencieusement choisis dans les petites annonces du "Figaro".

Messieurs,

Je suis jeune, vaillant, entièrement disponible, totalement dénué d'ambition professionnelle, plein de mauvaise volonté quant au travail, indifférent au culte de l'emploi et ne souhaite pour rien au monde changer. Puisqu'on dit qu'il n'y a que les imbéciles qui ne changent jamais d'avis, j'accepte très volontiers d'être de ces irrécupérables imbéciles.

Je ne désire pas plaire à mes semblables au nom d'une cause qui, fondamentalement, m'afflige : celle de la sainte, religieuse Entreprise. Je suis un hérétique de l'ANPE, un damné de l'emploi, un excommunié du marché du travail.

Je ne veux pas vendre à votre entreprise mon temps précieux utilisé à ne rien faire, même contre une reconnaissance sociale, même contre l'estime de mes contemporains, même contre des congés payés, même contre l'assurance de recevoir une retraite de soixante ans à quatre-vingt-dix-neuf ans. Je ne veux pas vendre des sourires professionnels, ni me faire accepter dans le cercle enviable des privilégiés qui se lèvent tôt le matin pour gagner leur pain industriel, leurs vacances d'été, leur droit de porter cravate, bref leur bonheur et dignité d'employés. Je ne veux pas être utile, je ne veux pas produire de richesses. Ni pour mon pays, ni pour mes voisins, ni pour moi-même. Je n'ai aucune ambition professionnelle vous dis-je, absolument aucune.

Je n'aspire nullement à m'élever sur le plan social. Je ne désire pas accéder à la dignité du salarié, ni à celle du patron. Je tiens à rester à la place qui est la mienne, puisque je ne suis nulle part sur l'échiquier de l'emploi. Hors des enjeux économiques de ce monde. Loin des statistiques. Ignoré des registres. Absent des comptes.

Je n'ai pas honte de mon inertie sociale, ni de profiter du travail des autres pour vivre (en effet, il faut bien que d'autres travaillent à ma place pour que je puisse être aussi glorieusement oisif, inutile et vain), ni de l'exemple que je donne aux jeunes sans emploi. Je n'ai pas honte d'être inutile à la société, ni d'être une charge.

Je souhaite continuer à être absent, vain, inutile au monde économique. Me faire totalement oublier du monde du travail. Ne compter que pour du vent dans le système. Je veux aux yeux des employeurs n'être rien du tout. Il n'y a aucun espoir, je suis vraiment irrécupérable. Une plaie pour le monde du travail. La peste de l'entreprise. Le fléau de la rentabilité.

Je ne suis pas un instrument de production, pas une bête à performances, pas un rouage humain de la sainte machine industrielle. Je ne suis pas sur cette Terre pour servir les entreprises. Je suis sur Terre parce que je suis sur Terre : gratuitement, pour rien, contre rien. Juste pour être heureux, sans avoir aucun compte à rendre à aucune entreprise. Je suis sur Terre par l'effet d'une grâce infinie. Aussi inutilement que le papillon.

Je suis libre, inutile, et mes ailes ne sont pas à vendre.

22 - Vive le conformisme !

En bien des domaines le conformisme me plaît. Ses rituels immuables, ses lignes droites, ses angles formels me rassurent comme une oeuvre d'art aux traits de classicisme. Il est des valeurs sûres que seuls la vulgarité, le mauvais goût peuvent éclipser. De nos jours il est de bon ton de se dire "ANTICONFORMISTE". Et pour remplacer le conforme on met le difforme en se croyant un bel esprit...

N'importe quel prétendant à l'anticonformisme, au nom d'une originalité d'esprit qu'il n'a évidemment pas, révèle le pire de lui-même. Lisez donc les annonces passées par les hommes dans le "Nouvel-Observateur" : ils se disent tous anticonformistes. Galvaudé à outrance, ce mot ne signifie plus rien.

Il y a encore des hommes assez stupides et assez fortunés pour faire mettre dans une annonce du "Nouvel-Observateur" (où chaque lettre, chaque syllabe est facturée au prix fort) les mots "anticonformiste" ou "sympa" ! Quelle femme intelligence oserait répondre à ces annonces ineptes ? Et pourtant, les termes "anticonformistes" et "sympas" se monnayent couramment sur le juteux marché des annonces. Et qui de plus est dans le "Nouvel Observateur", un journal au lectorat prétendument cultivé...

L'important n'est pas de se montrer anticonformiste, ce qui prime, n'est-ce point la qualité de l'esprit, du propos, du coeur ?

Y a-t-il encore des honnêtes hommes de nos jours ? Ils veulent tous faire les artistes, ils singent les modèles d'esprit, ils prétendent au talent... Pas un n'aura l'humilité, la grandeur, la noblesse, le bon goût de se montrer simple.

23 - Le prince que je suis

Je suis le plus bel oiseau de ces lieux, l'unique albatros de cet espace de libre expression. Ma plume admirable et mon aile majestueuse confèrent à ma personne autorité, dignité et infinie élégance. Mes détracteurs sont des corbeaux jaloux de mon éclat. Et les gracieuses colombes planant dans mon sillage, mes disciples.

Je détiens quelque chère vérité, certain secret des arts, possède la science de l'amour. Pétri de noblesse, je me prétends défenseur des belles causes, de ma particule et des femmes laides, mais surtout des jolies filles, et ma plume est prolongée par le fer vengeur et justicier d'une infaillible épée. Ces deux flammes vives sont inséparables chez moi : plume et épée forment mon double panache.

Je suis l'ennemi de la populace, l'ennemi du vulgaire, l'ennemi de la bassesse. Cependant je protège et défends indifféremment les faibles, les veuves, les orphelins, les beaux sangs comme les têtes communes, les nantis comme les déshérités, les poètes comme les bourgeois, les joliment chaussés comme les va-nu-pieds.

Je vole également au secours de ceux qui forment la vaste roture de ce monde. Une fois extraits de leur fange, je tente de les élever jusqu'à ma hauteur. Et s'ils s'ingénient à demeurer dans leur aveuglement, je me permets d'exercer contre eux l'acier de mon art. Pour certains, ce sera celui de ma plume, pour d'autres, celui de mon glaive.

Je suis un authentique chevalier, un prince dans l'esprit, un guerrier des belles causes, un albatros, un ange tout de plume et d'épée.

Nul ne saurait accéder à ce degré de gloire où à la force de l'âme je suis parvenu. En qualité, noblesse et coeur qui peut se targuer de me valoir ? Comme l'astre roi, je suis unique.

Inégalable.

24 - Mon panache

Si j'ai quelques sincères laudateurs, j'ai également des détracteurs, ce qui n'est certes pas pour me déplaire. Les duels sont stimulants, divertissants, salutaires. Mais surtout, les coups reçus font chanter mon armure.

A mes détracteurs,

Vous évoquez avec une canaille éloquence le nom de celui qui n'a pas eu l'heur de vous plaire... Si la dignité de mon front vous offense, si la hauteur de mes vues vous dérange, si la majesté de ma tête vous indispose, bref si ma personne entière vous est chose peu aimable, je ne manquerai pas de croiser avec vous la plume pour mieux rehausser mes couleurs et faire briller et mon nom et ma particule. Mes plus chers lauriers.

Je mésestime ces manières infâmes que vous avez de me considérer, propres à la plèbe. Je ne suis point de ce monde. Dans le coeur, dans l'esprit, je suis plein de noblesse. Imbu de ma personne pensez-vous ? Certes, je suis fier. Est-ce donc péché que de s'aimer à ce point ?

J'incarne noblesse, poésie, rêve. Mais encore aristocratie oisive et pédante. Je prétends faire partie d'une élite : l'espèce française. Je suis froid, hautain, arrogant. J'ignore modestie, docilité, bassesse. Plein d'idéal, je donne des leçons à mes semblables moins fortunés, moins titrés, moins valeureux que moi.

Je ne vous interdis nullement de vous ébaudir en ignoble société, ni de ripailler comme des romains ou bien d'accoucher de la pensée la plus basse qui soit. Cela est votre intime liberté. C'est la mienne également que de me mieux plaire loin de votre univers malséant. Les dentelles et la soie siéent mieux à ma vie que vos petites vérités temporelles et prosaïques.

Il est vrai que je n'ai guère d'indulgence pour la gent déchue qu'est la populace. Je méprise avec beaucoup de conviction tout ce qui ne vole pas haut : les sensibilités populaires, la religion du matérialisme, le culte du plaisir immédiat, toutes ces quêtes temporelles, alimentaires, horizontales (tels que confort matériel, sécurité de l'emploi, assurances en tous genres). Ces affaires domestiques chères à mes contemporains ne sont qu'hérésies, bassesses, insignifiances. Moi je parle des dentelles mais surtout des richesses subtiles de l'âme.

Les nécessités temporelles tels que le boire et le manger que mes semblables prennent tellement au pied de la lettre ne me touchent guère, tant il importe avant tout de donner la parole à la poésie. Je n'ignore pas que les gens ordinaires sont assoiffés de prosaïsme. C'est certes leur droit et je ne leur ôterai nullement cette piètre liberté. Mais les ânes ne savent pas chanter, et le bel oiseau que je suis est bien obligé de le faire à leur place.

Qui, si je ne me faisais l'apôtre de la légèreté, de l'esprit, de la cause poétique prendrait la parole à ma place pour dénoncer la lourdeur, le prosaïsme du monde ? J'ai le courage de porter haut mon épée, ma particule, mon mépris. Je ne suis pas d'un commerce facile. Je ne flatte pas ceux qui m'écoutent. Je ne défends pas vos causes pitoyables. Là n'est point mon rôle. Ma véritable affaire en ce monde consiste à éclairer les esprits et enrichir les coeurs. Dont les vôtres, mes chers détracteurs.

25 - Eloge de ma particule

Ma particule est infiniment belle, précieuse, estimable. Elle confère à ma tête noblesse, grâce, dignité. Ce "DE" est digne de respect. Elle me différencie de ceux qui en sont dépourvus : sans-naissance, petites gens, fils et filles de rien.

Ma particule attise envies, déchaîne passions, fait naître jalousies, inspire indifférence et autres vils sentiments humains. Ce qui est naturel puisque posséder une particule est un privilège de salon : le genre de faveur inutile qui exaspère.

Posséder la particule est une sorte de grâce. Ce qui compte, c'est d'avoir été élu "DE". Peu importe le prix de cette élection. La particule, c'est la gratuité par excellence. Cette raison suffit pour que je sois fier d'en posséder une.

26 - Défense de la courbe

La ligne, nul n'ose en douter, c'est droit, net, précis, direct. C'est la plus chère valeur en vigueur au siècle vingt-et-unième. Avec la ligne la sécurité est pour ainsi dire parfaite. Dans cette élémentaire structure linéaire, base universelle du nivellement, fusionnent avec un égal principe de régularité et de persistance toutes les normes ayant accédé au degré supérieur de la conformité la plus stricte, la plus stable, la plus implacable.

Sur la ligne s'étend la plus sécurisante, la plus constante, la plus juste des moyennes. D'un bout à l'autre de l'immobile schéma de rectitude, d'une extrémité à l'autre de l'immuable figure emblématique, du début au terme, en passant par le milieu, triomphe superbement l'ORDINAIRE.

Mais dans ce monde de sérénité linéale survient parfois l'inattendu, le baroque, l'inclassable : la courbe. Obéissant à des lois fuyantes, subtiles, incarnation odieuse de la fantaisie la plus gratuite, du désordre, fruit infâme de la nouveauté, elle brise toute certitude. La courbe est rebelle par définition. Elle se détourne d'emblée d'un chemin à la droiture sans faille, sans surprise, tracée d'avance par une volonté dénuée d'imagination. La courbe se démarque surtout de la ligne par son caractère indiscipliné, fantasque, inutile.

Elle se complait à décrire vains détours, allées et venues sans signification pratique. La courbe s'insère dans un espace d'anarchie joyeuse que la ligne, inexorablement droite, ignorera toujours. La ligne n'a pas de pire ennemie que l'ondulation. Une ligne régule, nivelle, aplanit une série de points. Alors qu'une courbe ne recèle pas ce secret inné de fatale régularité : chaque arc est unique, chaque boucle est nouvelle. De la courbe naît l'arabesque, l'image, l'onde qui donne la vibration. De la courbe naît l'imprévu, l'irrationnel, le romanesque, la rêverie, l'émotion, et c'est alors le triomphe sans équivalence de l'EXTRAORDINAIRE.

Le monde actuel représente la ligne. Et moi, je suis la courbe.

P.S.

Il s'agit essentiellement de la courbe labiale provoquée par la contraction des muscles zygomatiques.


27 - Brûlons Sade !

A propos des "120 Journées de Sodome".

Sade n'a rien de divin et tout de démoniaque, au moins à mes yeux. Sa pensée malade à l'extrême relève de la psychiatrie la plus lourde, et même d'une authentique psychiatrie d'exception. Un cas monstrueux comme il n'en existe nulle part dans le monde. Sa littérature sent la pourriture, l'excrément, la honte et les Ténèbres. Cette littérature, c'est le dépotoir de l'Enfer, la fosse du Diable, la Gueule ouverte de tous les démons de la géhenne.

Le seul point positif que je lui accorde, c'est qu'à travers les conceptions innommables, épouvantables, abominables issues de son cerveau damné, il permet d'élargir notre champ de conscience sur une réalité que la pensée ordinaire est incapable de concevoir. Une fois sensibilisé à ces conceptions extrêmes du Mal, on peut alors entrevoir une réalité aussi profonde et aussi extraordinaire que l'univers sadien, mais une réalité située à son exact opposé. On se dit que si un tel gouffre existe, la cime doit également exister. Et la conception d'un semblable gouffre fait ardemment désirer celle d'une cime. Alors on lève les yeux de force, on s'élève presque malgré soi, poussé, porté par les miasmes émanant de l'abîme fangeux.

On ne peut pas lire les "120 Journées de Sodome" sans éprouver un légitime malaise mental, et même physique. Je suis persuadé que nul ne sort indemne de ce cloaque. Cette lecture blesse l'esprit comme le ferait le métal tranchant sur la chair. Sade est un criminel de l'esprit. Les blessures qu'il inflige à ses lecteurs ne sont pas visibles à l’œil, certes. Cependant il agresse l'esprit sain de l'honnête homme, atteint la pureté, offense l'innocence, tente de tuer le beau.

Je suis pour la censure inconditionnelle de Sade. Je ne vois pas en quoi cette censure est criminelle ni ce que cette littérature apocalyptique peut apporter de bénéfique à l'Homme, sinon une image monstrueuse de ce qu'il n'est pas. En effet, comment peut-on faire d'un simple cas pathologique une cause générale ? Le patrimoine littéraire de l'Humanité ne perdrait vraiment pas grand-chose si on jetait une bonne fois pour toutes Sade sur le bûcher de la censure afin que nos enfants n'héritent pas de cette lèpre littéraire.

Face aux écrits de Sade, les défenseurs de la liberté d'expression se croyant investis d'une mission sacrée font figure de mauvais génies de la pensée. Comme si au nom de la littérature on pouvait défendre une cause si noire... Il aurait alors suffit à Adolf d'avoir la plume d'un héraut du malheur pour qu'on encense et défende ses écrits au nom de la littérature... Au bûcher "Mein Kampf" et les "120 Journées de Sodome", au bûcher ! Et tant pis pour ces messies des ténèbres, défenseurs d'une infernale, criminelle, pestilentielle liberté d'expression !

28 - Le monde à travers mon lorgnon

Prôner ce qui est ordinairement désigné comme des valeurs artificielles fabriquées de toutes pièces par la culture n'est-il pas finalement un signe de grande élévation de coeur, d'esprit ?

Ce qui est issu de la pure culture est éminemment raffiné, estimable, sophistiqué : un signe évident de civilisation. Seuls les sauvages sont proches de la terre. Les êtres évolués sur le plan culturel tels les aristocrates, les snobs, les mondains et autres piliers de salons, vivent dans un monde d'artifice. L'artifice est le propre des gens évolués affranchis des contingences domestiques, éloignés de toute préoccupation prosaïque et blasés (donc libérés) de tout avec élégance.

Je me réclame de cette civilisation prétendument superficielle, artificielle, surfaite.

Je suis un snob, un fat, un prétentieux. Je suis hautain, fier, méprisant. Je déplais à la roture, à mes voisins, au monde entier. Mais l'important n'est-il pas d'être satisfait de soi-même ? Ha ! Vous dirais-je avec quel auto contentement je contemple ma face le matin dans le miroir... Je suis un grand auto satisfait. Je ne me remets jamais en question tant je suis sûr de la valeur de mes opinions, de l'inanité de celles des autres, de l'importance de ma petite personne et de l'insignifiance de ceux qui sont dépourvus de particule.

Je suis snob, snob, snob... Et encore hypocrite, vaniteux, odieux. Je dégouline de mauvais sentiments. Je fais l'éloge de ma particule, de mon cher lorgnon, de mon nombril, de mon oisiveté. Snob et factice, voilà ce que je suis... Résolument snob et décidément factice. J'aime le superficiel, la feintise, l'illusion. Je défends les valeurs les plus contestées, les moins flatteuses.

Je suis tout ce que mes détracteurs se défendent d'être : snob et odieux.

29 - Au jour glorieux de mes funérailles

Je veux être inhumé en grande pompe et en petits souliers. En bonne compagnie j'espère franchir la jolie porte du cimetière, entendre autour de mon linceul les médisances chuchotées. Pour ce grand jour de ma vie je veux des larmes. J'en veux des chaudes, des tièdes et des glacées. Des pleurs sincères et des sanglots hypocrites. J'attends pour ce grand rendez-vous des mines affligées, des faces de rat et des amantes franchement éplorées.

J'aimerais qu'un public admirable et douteux à la fois fait de femmes et d'amis, d'ennemis et de bêtes m'accompagne jusqu'à la tombe. Je veux pour mon enterrement rien que du beau monde : des saints et des salopards. Une assemblée composée d'amis fidèles et de Judas, de vierges timorées et de dévoyées, d'aristocrates et de chiens galeux. Et que chacun me rende hommage, m'ignore ou me maudisse à sa manière.

Il faut qu'au jour de mes funérailles ça sente la rose et la graille, l'encens et le mauvais cigare. Je veux une tragi-comédie, une fête ratée, une farce tournant court, du beau temps alterné avec de la pluie maussade. Que l'on rie et que l'on se désole, que l'on boive à ma santé et que l'on rende tout sur mon tombeau ! Que l'on banquète comme des paillards après le spectacle et que l'on vienne me demander pardon sous les étoiles.

Vous viendrez cracher sur ma bière, vous mes ennemis. Vous serez les hôtes de choix, la fête sera belle. Vous apporterez cet indispensable piment qui réchauffera un peu la viande froide. Quant à vous mes amis, vous serez là pour donner de la dignité aux réjouissances. Vous suivrez au premier rang le convoi funéraire : rôles secondaires qui ont toujours été les vôtres. Vous serez présents pour donner une bonne figure à cette pénible et joyeuse affaire. Et aussi pour abandonner quelques sous au curé.

Vous mes femmes, mes bien-aimées, mes mal-aimées, mes hochets, mes ardentes soumises, mes tièdes insoumises, mes fausses compagnies et mes chères fuyantes, je vous ferai un grand honneur ce jour-là. Bien mis et roide comme un soldat de plomb, j'écouterai vos doléances sans mot dire, sans broncher et sans nulle amertume. Vous pourrez vider vos besaces : je serai parfaitement pacifié, loin des passions terrestres. Vos charmants discours ne me feront plus aucun effet. Je serai roide, vous dis-je. Froid comme un glaçon, dur comme un coeur de pierre, d'une inébranlable rectitude. Une correction parfaite, un maintien irréprochable. Mais définitivement inerte.

Curé, vous m'enterrerez pas sans une dernière faveur : à ceux qui seront réunis autour de ma dépouille vous lirez cette plaisante histoire que je viens de leur écrire.

30 - Eloge de la lâcheté

La lâcheté n'est pas l'arme des faibles, mais des forts, des survivants, des hommes libres. C'est une arme très efficace : les lâches sont les éternels épargnés des vicissitudes. Dénoncer par lettre anonyme son voisin, trahir ses amis, accuser un innocent, pour le lâche c'est l'assurance de sortir vainqueur d'un mauvais pas, d'être récompensé par de l'argent ou bien de gagner in-extremis sa chère liberté.

Les vrais courageux sont les lâches. Jaloux de leur liberté à un point extrême, ils sont âpres au gain. Fiers, discrets par nature, farouchement attachés à leurs valeurs personnelles, ils vont toujours jusqu'au bout de leurs idées. Jamais ils ne se trahissent. Pour rien au monde. C'est pourquoi ils préfèrent tant trahir les autres.

La lâcheté est non seulement une arme efficace, mais encore facile, simple, et surtout sans danger pour qui en use avec art : seuls les autres sont victimes du lâche. La lâcheté permet de provoquer en duel un ennemi sans avoir à se mouiller : le lâche ne sort jamais de l'ombre. Il peut sans aucun péril insulter, provoquer, menacer, jamais il ne s'exposera au feu. Le lâche sait user de toutes les opportunités qui s'offrent à lui : lettres et coups de fil anonymes, coups bas, etc. Le lâche est judicieux, prudent et il offre les apparences de la plus parfaite honnêteté.

C'est pourquoi les lâches réussissent en bien des domaines, et au prix de peu d'efforts. D'où l'indiscutable supériorité de la lâcheté sur le courage quand on veut se faire un nom dans l'anonymat.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Qui est Raphaël Zacharie de IZARRA ?

Ma photo
Oisif mélancolique, oiseau unique, ange joliment plumé, ainsi se présente l’auteur de ces lignes (une sorte de Peter Pan cruel et joyeux, mais parfois aussi un rat taciturne). Au-delà de cette façade mondaine, loin de certaines noirceurs facétieuses j’ai gardé en moi une part de très grande pureté. Dans mon coeur, un diamant indestructible d’un éclat indescriptible. Cet éclat transcendant, vous en aurez un aperçu à travers mes modestes oeuvres. Est-ce une grâce de me lire, pensez-vous? Osons le croire.